lundi 17 mai 2010

Harvey Milk - critique -

Le biopic retrace les huit dernières années de la vie d'Harvey Milk à San Francisco, premier politicien gay a s'être vu accordé des fonctions officielles dans la politique.
"Nous nous battons pour nos vies [...] et sans espoir, elles ne méritent pas d'être vécu". Ainsi fonctionne le film : à travers des paroles d'Harvey Milk, mémorables, toutes imbibées de force et de courage. Figure emblématique dans la communauté homosexuelle en son temps (les années seventies), Harvey Milk fait parti de ces personnages qui ont toujours voulu voir plus grand que le bout de leur nez. En ayant eu le cran d'affronter l'opinion conservatrice des Etats-Unis, et de remettre en question toute la mentalité d'un pays, Milk a gêné. Et comme tout homme qui dérange, son destin connut les irrévocables tragédies qui vont de pair.
Gus Van Sant a parfaitement compris que son film n'est pas là pour défendre de prime abord la cause des homosexuels et de les victimiser de bout en bout comme des hommes qui sont des "déviants sociaux irrécupérables". L'accent est plutôt mis sur un homme qui a voulu changer le monde par la force de son infaillible volonté, qui, alimentée par la connerie humaine (
il n'y a qu'à entendre les propos glaçants tenus à l'époque par la chanteuse Anita Bryant, la première "entartée" de l'histoire, pour s'en rendre compte)
n'a fait que la rendre plus puissante d'année en année.
La caméra de Gus Van Sant suit l'histoire telle qu'elle fut, sillonnant les rues pentues du quartier de Castro entre deux émeutes. La foule homosexuelle enrage de rester cloisonnée dans une liberté conditionnelle, devant se cacher pour mieux réussir professionnellement. Les amalgames fusent, l'image véhiculée est truquée. Deux camps donc : les hétérosexuels influençables qui ne savent jurer que par leur Dieu pour mieux argumenter leurs propos pseudo-convaincants ; et les homosexuels défendant leur droit d'être égaux aux yeux de la société. Or, Gus Van Sant ne tombe pas dans le piège de dénoncer le postulat selon lequel la religion n'aurait été qu'un refuge crée de toute pièce pour mieux nous aider à croire en notre
avenir. Sa dénonciation est plus subtile que cela : il veut démontrer toute l'absurdité de l'homme, qui insiste pour se chercher continuellement des ennemis, et se convaincre ainsi qu'ils naissent libres mais inégaux en droit.
Outre la maîtrise scénaristique qui fait la force visuelle et auditive du film, Harvey Milk doit aussi sa persuasion à la prestation sans faille de Sean Penn, royal. Son jeu a tout d'une presque légende. Il joue avec la plus grande des convictions, avec des mimiques bluffantes et une envie de crier toute aussi équivalente à celle du personnage qu'il incarne. Certains travellings, qui renvoient à ceux d'Elephant, viennent prouver que la caméra devient un réel spectateur, là pour brandir le poing avec Milk et accompagner ses militants, pancarte levée.
Nous n'avons donc pas à faire à du mélodrame poussif, ni à une biographie quelconque, mais à un film-colère contre l'intolérance. Grand film que voici, magistralement mis en scène, Harvey Milk est un réquisitoire puissant qui fait valoir les droits civiques des homosexuels, et qui rehausse comme il se doit l'image dorée d'un homme hors du commun.

dimanche 9 mai 2010

La comtesse - critique -

Voici l'histoire d'Elizabeth Bathory, feue la femme la plus puissante de Hongrie au XVIIeme siècle. Le clan Bathory était en effet craint par tous, et jouissait d'une réputation jusqu'allant même exercer une influence chez le roi même. Mais le mari meurt d'une maladie. Elizabeth ,en plein veuvage, continue donc de bâtir seule son pouvoir, et provoque la jalousie de certains. Au cours d'un bal, Elizabeth fait la connaissance d'un beau jeune homme qui tombe éperdument amoureux d'elle. Une relation intense commence, mais le garçon la quitte sans lui laisser de nouvelles. Elizabeth sombre alors dans la folie, et est persuadée qu'il l'a quittée à cause de son âge. Elle décide donc de tuer des vierges pour baigner dans leur sang, et retrouver ainsi sa jeunesse d'autrefois...
Julie Delpy fait partie de ces graines rares. Elle est une femme qui ne manque jamais d'ambition pour ce qui est d'imposer son style au cinéma. Avec La comtesse, où elle y figure en tant que réalisatrice et en tant qu'actrice principale, c'est peut-être le reflet de sa propre histoire qu'elle souhaite transposer, métaphore d'un succès montant et grandissant. Le travail accompli a de quoi réellement impressionner. Se basant sur des centaines et des centaines de rumeurs qui couraient au sujet de la fameuse Elizabeth Bathory, sur des archives prouvant sa culpabilité (ou non, cela reste un mystère), sur les moeurs de l'époque et leurs tenues vestimentaires... Delpy montre ses dents et déploie tout son savoir-faire pour représenter au mieux la réalité d'une époque passée. Jouant beaucoup sur les couleurs, elle apporte ainsi une poésie des plus diaboliques où le seul réel coupable tient de la complexité même de l'homme.
En racontant l'histoire d'une femme du point de vue d'une femme, La comtesse en ressort plus mature. Évitant les débordements trash liés aux supposées tortures que Bathory accomplissait sur ses victimes, Delpy préfère s'attacher à montrer la psychologie de son personnage et son basculement progressif vers la folie, ce qui en soi est d'autant plus terrifiant. Le jeu réalisé par Delpy propose une palette d'expressions qui relèvent à la fois de l'ambiguïté et de la conviction. Le spectateur n'est ainsi pas là pour se faire le juge de ses actes, mais plutôt pour se faire le jury impartial qui regarde et essaie de comprendre (certaines scènes ne manqueront d'ailleurs pas de l'interloquer). La violence, ici, n'est pas gratuite ou incertaine. Elle est le pur produit d'un état intentionnel, que ce soit celui de la haine que les hommes se vouent l'un l'autre, ou que ce soit celui de son exact opposé qui est l'amour. Le message de Delpy est-il d'admettre que l'amour mène donc à la haine ? Pour Bathory, il est l'unique recours à la consolation de ses désirs inavoués. Elle reporte sa frustration sur ses victimes et ne se sent puissante que lorsqu'elle se regarde dans le miroir pour voir ses rides s'effacer, narcissisme destructeur et diablement alimenté par des procédés monstrueux. Et l'intensité avec laquelle Delpy se met en scène est bouleversante. Sa caméra, à la fois froide et fiévreuse, oppose constamment le double visage de Bathory, qui entretient une relation avec son miroir comme le fait la reine dans Blanche-Neige.
Ainsi, La comtesse propose une réflexion intéressante sur la véracité des faits historiques. À mi-chemin entre l'aliénation et la sympathie d'une femme trop puissante pour son époque, Delpy tente dans cette fable gothique de démontrer avec Bathory comment l'amour peut amener à sa propre perte. Et ce n'est pas très beau à voir...