lundi 17 mai 2010

Harvey Milk - critique -

Le biopic retrace les huit dernières années de la vie d'Harvey Milk à San Francisco, premier politicien gay a s'être vu accordé des fonctions officielles dans la politique.
"Nous nous battons pour nos vies [...] et sans espoir, elles ne méritent pas d'être vécu". Ainsi fonctionne le film : à travers des paroles d'Harvey Milk, mémorables, toutes imbibées de force et de courage. Figure emblématique dans la communauté homosexuelle en son temps (les années seventies), Harvey Milk fait parti de ces personnages qui ont toujours voulu voir plus grand que le bout de leur nez. En ayant eu le cran d'affronter l'opinion conservatrice des Etats-Unis, et de remettre en question toute la mentalité d'un pays, Milk a gêné. Et comme tout homme qui dérange, son destin connut les irrévocables tragédies qui vont de pair.
Gus Van Sant a parfaitement compris que son film n'est pas là pour défendre de prime abord la cause des homosexuels et de les victimiser de bout en bout comme des hommes qui sont des "déviants sociaux irrécupérables". L'accent est plutôt mis sur un homme qui a voulu changer le monde par la force de son infaillible volonté, qui, alimentée par la connerie humaine (
il n'y a qu'à entendre les propos glaçants tenus à l'époque par la chanteuse Anita Bryant, la première "entartée" de l'histoire, pour s'en rendre compte)
n'a fait que la rendre plus puissante d'année en année.
La caméra de Gus Van Sant suit l'histoire telle qu'elle fut, sillonnant les rues pentues du quartier de Castro entre deux émeutes. La foule homosexuelle enrage de rester cloisonnée dans une liberté conditionnelle, devant se cacher pour mieux réussir professionnellement. Les amalgames fusent, l'image véhiculée est truquée. Deux camps donc : les hétérosexuels influençables qui ne savent jurer que par leur Dieu pour mieux argumenter leurs propos pseudo-convaincants ; et les homosexuels défendant leur droit d'être égaux aux yeux de la société. Or, Gus Van Sant ne tombe pas dans le piège de dénoncer le postulat selon lequel la religion n'aurait été qu'un refuge crée de toute pièce pour mieux nous aider à croire en notre
avenir. Sa dénonciation est plus subtile que cela : il veut démontrer toute l'absurdité de l'homme, qui insiste pour se chercher continuellement des ennemis, et se convaincre ainsi qu'ils naissent libres mais inégaux en droit.
Outre la maîtrise scénaristique qui fait la force visuelle et auditive du film, Harvey Milk doit aussi sa persuasion à la prestation sans faille de Sean Penn, royal. Son jeu a tout d'une presque légende. Il joue avec la plus grande des convictions, avec des mimiques bluffantes et une envie de crier toute aussi équivalente à celle du personnage qu'il incarne. Certains travellings, qui renvoient à ceux d'Elephant, viennent prouver que la caméra devient un réel spectateur, là pour brandir le poing avec Milk et accompagner ses militants, pancarte levée.
Nous n'avons donc pas à faire à du mélodrame poussif, ni à une biographie quelconque, mais à un film-colère contre l'intolérance. Grand film que voici, magistralement mis en scène, Harvey Milk est un réquisitoire puissant qui fait valoir les droits civiques des homosexuels, et qui rehausse comme il se doit l'image dorée d'un homme hors du commun.

dimanche 9 mai 2010

La comtesse - critique -

Voici l'histoire d'Elizabeth Bathory, feue la femme la plus puissante de Hongrie au XVIIeme siècle. Le clan Bathory était en effet craint par tous, et jouissait d'une réputation jusqu'allant même exercer une influence chez le roi même. Mais le mari meurt d'une maladie. Elizabeth ,en plein veuvage, continue donc de bâtir seule son pouvoir, et provoque la jalousie de certains. Au cours d'un bal, Elizabeth fait la connaissance d'un beau jeune homme qui tombe éperdument amoureux d'elle. Une relation intense commence, mais le garçon la quitte sans lui laisser de nouvelles. Elizabeth sombre alors dans la folie, et est persuadée qu'il l'a quittée à cause de son âge. Elle décide donc de tuer des vierges pour baigner dans leur sang, et retrouver ainsi sa jeunesse d'autrefois...
Julie Delpy fait partie de ces graines rares. Elle est une femme qui ne manque jamais d'ambition pour ce qui est d'imposer son style au cinéma. Avec La comtesse, où elle y figure en tant que réalisatrice et en tant qu'actrice principale, c'est peut-être le reflet de sa propre histoire qu'elle souhaite transposer, métaphore d'un succès montant et grandissant. Le travail accompli a de quoi réellement impressionner. Se basant sur des centaines et des centaines de rumeurs qui couraient au sujet de la fameuse Elizabeth Bathory, sur des archives prouvant sa culpabilité (ou non, cela reste un mystère), sur les moeurs de l'époque et leurs tenues vestimentaires... Delpy montre ses dents et déploie tout son savoir-faire pour représenter au mieux la réalité d'une époque passée. Jouant beaucoup sur les couleurs, elle apporte ainsi une poésie des plus diaboliques où le seul réel coupable tient de la complexité même de l'homme.
En racontant l'histoire d'une femme du point de vue d'une femme, La comtesse en ressort plus mature. Évitant les débordements trash liés aux supposées tortures que Bathory accomplissait sur ses victimes, Delpy préfère s'attacher à montrer la psychologie de son personnage et son basculement progressif vers la folie, ce qui en soi est d'autant plus terrifiant. Le jeu réalisé par Delpy propose une palette d'expressions qui relèvent à la fois de l'ambiguïté et de la conviction. Le spectateur n'est ainsi pas là pour se faire le juge de ses actes, mais plutôt pour se faire le jury impartial qui regarde et essaie de comprendre (certaines scènes ne manqueront d'ailleurs pas de l'interloquer). La violence, ici, n'est pas gratuite ou incertaine. Elle est le pur produit d'un état intentionnel, que ce soit celui de la haine que les hommes se vouent l'un l'autre, ou que ce soit celui de son exact opposé qui est l'amour. Le message de Delpy est-il d'admettre que l'amour mène donc à la haine ? Pour Bathory, il est l'unique recours à la consolation de ses désirs inavoués. Elle reporte sa frustration sur ses victimes et ne se sent puissante que lorsqu'elle se regarde dans le miroir pour voir ses rides s'effacer, narcissisme destructeur et diablement alimenté par des procédés monstrueux. Et l'intensité avec laquelle Delpy se met en scène est bouleversante. Sa caméra, à la fois froide et fiévreuse, oppose constamment le double visage de Bathory, qui entretient une relation avec son miroir comme le fait la reine dans Blanche-Neige.
Ainsi, La comtesse propose une réflexion intéressante sur la véracité des faits historiques. À mi-chemin entre l'aliénation et la sympathie d'une femme trop puissante pour son époque, Delpy tente dans cette fable gothique de démontrer avec Bathory comment l'amour peut amener à sa propre perte. Et ce n'est pas très beau à voir...

dimanche 18 avril 2010

Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec

Paris à la Belle époque, 1912. Adèle Blanc-Sec, une jeune journaliste aventureuse, effectue un voyage en Egypte afin de trouver une momie qui sera capable de guérir sa soeur malade. Au même moment, un ptérodactyle vieux de plusieurs centaines de millions d'années éclot dans le jardin des Plantes. Revenue dans la capitale, Adèle Blanc-Sec va donc tenter de faire une pierre deux coups en résolvant ces deux affaires, tout en ne perdant pas son objectif principal.
Luc Besson était un réalisateur en voie de disparition. Scénariste de gros nanars en cette dernière décennie (Le transporteur, Banlieue 13...) et réalisateur d'Arthur chez Jardiland dans une 3D bien laide, Besson n'était plus devenu que l'ombre de lui-même à des années lumières de ces films cultes qui avaient doré sa réputation. On repense par exemple au poétique Grand Bleu, ou encore au violent Léon. Mais que ses fans se rassurent, avec son nouveau long-métrage, Luc Besson revient en grande pompe et plus inspiré que jamais ! Adèle Blanc-Sec est à la base une Bande Dessinée né du fruit de l'imagination de Tardi. Besson aura mis près de six ans pour convaincre le monsieur d'adapter son oeuvre, et ce privilège accordé, on voit bien que le réalisateur a cuisiné aux petits oignons son film, qui rehausse littéralement la valeur du cinéma français. Toute la mise en scène est digne d'un film américain : les costumes sont flamboyants, les décors vertigineux (le Paris de 1912, insouciant et féerique, renaît derrière la caméra) et les acteurs s'en donnent tous à coeur joie, à commencer par son interprète principal, Louise Bourgoin, ex miss-météo de Canal +. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'à la manière de Jeunet qui avait accordé le premier grand rôle à Audrey Tautou avec Amélie Poulain, Besson a suivi cette même (et bonne) intuition. Bourgoin campe une Adèle Blanc-Sec hilarante et toujours cynique, aux airs complices. Elle incarne un petit bout de femme qui secoue ce petit monde dominé par la gent masculine en ce début du siècle et ainsi, c'est cette indépendance qui la rend forte à nos yeux, sa mysanthropie qui la rend paradoxalement attachante.

A chaque minute qui s'écoule, on ne se rend pas véritablement compte que le temps passe (trop) vite. Ce monde est si riche que le spectateur ne demande qu'à connaître tout les petits secrets de la capitale, et qui confèrent donc à Paris (une fois de plus) le titre de ville si mystérieuse qu'une momie se baladant en smoking dans les rues ne choquerait plus grand monde. C'est un fait : Besson a su tirer parti des bulles de la Bande Dessinée pour en faire un dessin grandeur nature, vivant, jubilatoire et parsemé d'aventures farfelues en tout genre qui n'ont rien à envier à celles d'Indiana Jones. De bout en bout, le spectacle est magnifique et le rythme, effréné. On reste déçu que la salle se rallume à la fin, et surtout on reste très surpris d'avoir autant adhérer à un univers en l'espace de si peu de temps (1h47) ! Adèle Blanc-Sec a déjà été adopté de manière intrasèque (ainsi que les autres personnages, tous aussi truculents les uns que les autres), et on attend avec grande impatience les deux prochains volets qui, succès oblige, se verront sur la toile bien assez tôt. Grâce à ses clins d'oeil à l'univers d'Hergé, le film est à voir aussi comme un hommage au neuvième art. Certaines scènes ne s'inscrivent pas toujours dans la logique, mais l'humour détonne à chaque fois (le passage d'Adèle en prison est un moment purement jouissif). Ainsi, en y apportant sa touche personnelle, Besson a su aller au-delà des conventions en construisant son propre story-board, dans un schéma non classique et qui intègre flash-blacks audacieux à une narration-off des plus bienvenues. Le résultat est comparable à celui d'une potion magique : les ingrédients sont si bien dosés qu'en y buvant une goutte, on ne peut que fondre devant ce mariage presque parfait de l'action et de l'aventure.
En conclusion, Besson "is back" et une star "is born" : deux arguments de taille pour créer le bouche à oreille, et convaincre les plus réticents qu'en allant voir ce film, ils pourront assister à du vrai cinéma français comme on en est fier. Pour les autres qui auront pleinement profiter de cette occasion si rare dans nos salles de l'Héxagone, ils pourront calmer leur impatience en se tournant vers les BD pour connaître la suite des aventures.

lundi 29 mars 2010

Alice au pays des merveilles - critique -

Alice a 19 ans et ne cesse de faire des cauchemars depuis sa plus tendre enfance, du temps où elle avait été au pays des merveilles à deux reprises. Alors qu'elle est invitée à un bal aristocratique pour qu'on lui donne la main d'un Lord qu'elle connait à peine, Alice aperçoit le lapin blanc. En le suivant, elle découvre un terrier. Elle tombe dedans et se retrouve alors au pays des merveilles, dominé par la malveillante Reine rouge.
De son projet à sa création, Alice au pays des merveilles aura mis des années à prendre forme. De quoi faire longuement fantasmer et languir tous les fans de Tim Burton, ainsi que les adolescentes qui épinglent leurs jupes noires en dentelles façon Jack Skellington, ou de leurs sacs à mains à tendance soupe J-popienne. Il a été très dur, pour toutes les personnes qui s'estiment être des littéraires, d'avoir appris que Burton a plus ou moins légiféré sa propre vision de Alice. Et après la vision de ce film tant attendu, je peux enfin confirmer : le film n'est pas du tout une transposition fidèle du chef d'oeuvre de Lewis Carroll, loin de là. Pire que cela, Burton invente une Alice adulte qui se réintroduit pour la troisième fois dans le pays, qui pour le coup ici, a tout du merveilleux ou presque ; alors qu'il reflétait un monde sordide, inquiétant et proche du cauchemar dans le bouquin. Passées ces aberrations et après avoir fait figure de gens extrêmement tolérants et ouverts d'esprit, on essaie tant bien que mal de trouver des qualités au long-métrage. Bien que Burton ait du subir des pressions épouvantables de la part de Disney (esprit marketing oblige, il ne pouvait pas se permettre de réaliser un opéra baroque aussi violent que Sweeney Todd), nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander ce qu'il a bien pu avoir dans la tête. Le scénario est totalement inexistant, faisant du film, une succession de saynètes ennuyeuses et téléguidées sans grand rapport avec l'univers Carrollien, si ce n'est son esthétisme, loufoque, gothique et étrange comme seul Burton sait les concevoir.
Alice au pays des merveilles a tout du piège et de la machine hollywoodienne qui a du générer ses quelques 250 000 000 de dollars pour voir le jour. Oui, Alice au pays des merveilles d'un point de vue graphique est une belle claque, mêlant prises de vues réelles et animations. Les personnages qui y corroborent sont stupéfiants de réalisme et on sent le boulot qui a du être fourni pour le résultat d'un tel travail. Les décors sont inouïs, minutieux, fascinants de détails, et chaque ombres et lumières apportées à une prise de vue font leurs petits effets dans le rendu global qui viennent exploser notre rétine.
Mais qu'en est-il du reste ? Le film a été tourné sur quarante jours, et cela se ressent bien méchamment. Nous ne connaissions pas ce Burton superficiel et prétentieux, qui relègue au premier plan des aspects qui passent pour secondaire dans le protocole d'un film. En privilégiant son aspect esthétique à oscar, Burton en a oublié de lui donner une âme, et choisit de saboter l'atmosphère originale qui faisait tant la particularité du livre. La Alice choisie, sorte de boucle d'or aux robes créées par Donatella Versace elle-même (agrémentées de bijoux Swarowski, c'est dire du côté matérialiste du film), a peine à convaincre, transformée ici une sorte de Xena la guerrière. Johnny Depp joue encore le même registre et passe complètement inaperçu. Anne Hathaway fait bien pitié avec ses manières de greluche et son jeu inexpressif en reine blanche. Ajoutez dans la bande originale les présences musicales d'Avril Lavigne et de Tokyo Hotel, et ça vire au grand n'importe quoi ! Seule Helena Bonham Carter tire son épingle du jeu en proposant une Reine rouge plus absurde et cinglée que jamais.
Conclusion, c'est de la colère qui ressort à la fin de la projection. De constater un tel vautrage en ayant massacré un chef d'oeuvre de la littérature, où il n'y règne ici ni absurde, ni énigme mathématique, ni problème de logique, ni réflexion philosophique, cela relève du prodige de bas étage (sans parler de cette danse finale effectuée par le chapelier toqué, débile au possible). Creux jusqu'au bout, Alice au pays des merveilles est un bide, une déception immense de la part d'un cinéaste de talent, qui indéniablement commence à virer au déclin... Mais ce qu'on n'arrivera pas à lui faire pardonner, c'est d'avoir triché aussi grossièrement en transformant un monument de la littérature en pilier de comptoir.
Alors oui, le tout est beau comme un emballage d'oeuf de Pâques de chez Fauchon, mais il faudrait apprendre aux producteurs que l'on ne peut pas se prendre pour Dieu en alignant les zéros sur un chèque...

mercredi 24 mars 2010

L'arnacoeur - critique -

Alex a un métier dans sa vie : il est briseur professionnel de couples sur le déclin. Aidé de deux acolytes Marc et Mélanie, il s'immisce dans la vie de ces femmes malheureuses pour leurs ouvrir les yeux, les séduire et leurs faire prendre conscience qu'elles sont tombées sur le mauvais homme. Mais le jour où il se voit proposé un contrat avec plein de zéros consistant à faire séparer deux amoureux en goguette, Alex ne comprend pas. Pourtant, il va mettre en avant tout son talent pour mener à bien sa mission. Seulement, la fille en question, Juliette Van Der Beck, semble ne pas se laisser faire...
Enfin la comédie romantique française de l'année, nous l'avons, nous la détenons ! Bien rares sont ces réalisateurs qui parviennent à imiter avec justesse leurs homologues américains sur le principe de faire rire tout en n'écartant pas les bons sentiments. Pascal Chaumeil, sur un sujet original, a bien compris cela et nous livre ici un film tout en humour, porté par les divins Romain Duris et Vanessa Paradis, trop rare hélas à l'écran. Leurs présences sont magnétiques et confèrent au long métrage le sentiment que nous allons dès la première minute nous attacher à eux, qu'importe les choix qu'ils adopteront ou qu'ils assumeront.
S'il ne rit pas, le spectateur sourit. Les gags sont toujours bien vus et jamais vulgaires. Chaumeil semble nous prouver qu'il ne voulait pas tomber dans le déjà-vu poussif. Le rythme effréné qu'il adopte libère toutes les espérances que nous contenions. Non seulement il peaufine sa narration de façon admirable, mais il l'agrémente de tout un déballage d'artifices faits pour impressionner le spectateur romantique en vogue : chorégraphies étonnantes, jeu d'acteur au poil, cadres et paysages romantiques... Tout est blingbling dans ce Monaco surfait, mais ne parait être qu'un support de second plan face au haut degré d'humour qui alimente le film. Et surtout, le plus important des arguments sans doute, les clichés sont pris à contre-emploi : le héros (tout comme un certain OSS 117) qui se fait malmener et humilier à tout va, la belle princesse à papa qui sort de sa cage dorée pour mieux voir l'univers qui l'entoure, la copine nymphomane qui n'hésite pas à jouer les dilettantes, l'équipe de complices qui refait leur remake de Mission impossible, apportant son petit lot de parodies bienvenues.
Bref, vous l'aurez compris, l'Arnacoeur est une légère et pétillante comédie française qui n'arnaquent en rien son public. Drôle, intelligent, finement réalisé et joué, le film se targue d'un boulot bien fait qui rend bien compte de son homogénéité. Et il serait donc dommage, lors de ce printemps du cinéma, de se priver d'un tel petit plaisir.

jeudi 11 mars 2010

La rafle - critique -

Juillet 1942, le destin de Joseph, onze ans, bascule tout à coup. 13 000 juifs sont déportés au vélodrome du vel d'hiv pour subir un sort dont ils ignorent tous. De Paris, en passant par le camp de Beaune, Joseph et sa famille tente de garder espoir plus que jamais...
Roselyne Bosch, au patronyme qui apporte malgré elle de l'ironie mal placée, s'est attelée à reconstituer l'épisode tragique du Vel d'hiv, dans l'une des périodes les plus tragiques de l'Histoire de l'humanité. Afin d'immortaliser cet épisode, comme tant de téléfilms et films l'ont déjà fait auparavant et encore maintenant, la cinéaste réalise là un long métrage qui ne peut laisser de marbre... ou pas. En effet, si l'on exclue ce petit casting de haut vol (et assez inapproprié conférant à Gad Elmaleh le rôle du père juif (forcément) et à Catherine Allégret celle d'une concierge titi (forcément aussi)), on se rend vite compte, au delà du pathos obligatoire pour traiter ce sujet, que le film manque indéniablement de froideur. Par exemple, Hitler se la joue très caricatural. En hissant ce monstre au statut de monstre, bave à la bouche et prononçant des immondices verbales, Bosch s'est facilitée la vie à appeler un chat un chat. Ainsi, on ne comprend pas trop sa volonté de sortir, au sens propre, les violons lors des séquences fortes, en particulier celles où la famille de Joseph se fait expulser de leur domicile. Les faits sont durs, brutaux, animaux mais Bosch aurait du se concentrer à tourner sa caméra sur tout le monde, et moins sur le visage de ces vedettes.
Ce qui est aussi très délicat à critiquer dans ce genre de film, c'est la haute portée universelle qu'elle souhaite libérer, pour permettre à toutes les victimes de se faire reconnaître et à tous ces bourreaux de se faire décrier. La séquence du Vel d'Hiv a de quoi impressionner et les camions absorbant ces pauvres enfants pour les amener sur le chemin de la mort bouleversent comme toujours (gâchée par un effet parodique involontaire avec le personnage hors-sujet de Nono, qui, atrocement, n'émeut que très rarement...). Et au delà de cette horreur pure flotte en permanence le parfum de la romance malencontreuse. Les images toutes proprettes, les décors lissés, l'absence totale d'audace font de La Rafle un pseudo-téléfilm certes émouvant, mais finalement creux dans sa forme. Les séquences s'alternent sans fil logique, passant de la Bavière au camp d'internement, et du petit déjeuner de Pétain aux réunions conférentielles entre collabos. Heureusement que la présence de Mélanie Laurent arrive à rattraper certaines maladresses. Le personnage réel de la soeur Annette qu'elle interprète est à voir comme un exemple de femme qui se bat pour sauver la dignité de l'homme.
En conclusion, on lui saura gré à la cinéaste d'avoir pris la peine de replacer cet épisode dans son contexte, afin que tout le monde voit de leurs yeux l'état brut de l'horreur dont l'homme est capable. Mais sa tendance à avoir trop voulu apporter de la chaleur humaine place son long-métrage dans la fâcheuse posture du film qui veut pas assez et trop en faire à la fois. Oui, n'est pas Spielberg ou Polanski qui veut.

mercredi 3 mars 2010

Océans - critique -

"L'océan ? C'est quoi l'océan ?" tel est le prélude de Jacques Perrin qui, après le Peuple migrateur, amène sa caméra dans la mer pour filmer cette population de l'eau.
Jacques Perrin, sorte de simili écolo de Nicolas Hulot, possède un talent et une patience indéniables pour filmer l'infilmable et trouver le plan qui resplendira de beauté. Son documentaire est un vrai réservoir d'images magiques, superbes et exceptionnelles. Il est parvenu à marcher sur l'eau pour devenir le meilleur ami du poisson. Sa caméra ainsi que son équipe plongent corps et âme dans cet océan qui est le nôtre, pour nous rendre compte, pauvres citadins forcément inconscients des miracles de Mère Nature, de la beauté ambiante qui vit avec nous. Les images défilent, on pleure devant une telle photographie et on comprend très bien toutes les années (quatre) qui ont amené Perrin et Clouzaud à réaliser l'impossible, et cela aux quatre coins du monde. Nous avons affaire à de vrais professionnels en herbe qui ont du, derrière tout le matériel servant à la filmer, user de véritables stratagèmes pour approcher l'espèce marine.
Hélas, si on laisse de côté l'image qui fait le chou gras du film, Océans peut compter parmi les documentaires les plus creux et les plus insignifiants qui soient. A aucun moment, on répond à notre curiosité, à savoir : "Comment se nomme cette espèce ? Quelle est sa particularité ?" etc... A croire que Perrin a uniquement voulu nous abrutir ou nous assommer par son talent en transformant son documentaire en kaléidoscope visuel. Le film en ressort lent, et ennuyeux. Le monsieur n'a évidemment pas pu s'empêcher de saucer le tout avec une crème écologique à deux balles qui prend toute la deuxième moitié du film. Faire passer le message par le biais de quelques images étaient nécessaires voire indispensables, mais faire intervenir son fils comme acteur (à l'expression figée) pour constituer un bel album de famille se révèle extrêmement maladroit. Océans vire au rouge et se dénue complètement d'intérêt sur le plan culturel. Il pourra en revanche très bien constituer une jolie ambiance de salon quand vous recevrez des invités, et pour peu que vous ayez tout un attirail en dolby surround, vous entendrez la mer comme si vous y étiez ! Océans est donc très décevant, qui fait passer son message d'une manière trop écrasante, et dont on ne retiendra que cet océan d'images magnifiques qui rend compte du travail titanesque de ces deux amoureux de la nature.

mardi 2 mars 2010

Apricot, court métrage

Pour promouvoir la café Nespresso, l'entreprise a eu la bonne idée de demander à un cinéaste (Ben Briand) de réaliser un court métrage. Le résultat est si bluffant qu'on ne pense plus trop au café mais surtout à l'interprétation juste des acteurs, et aux réminiscences de la jeune femme, oniriques et empruntes d'une certaine nostalgie. Le café est néanmoins présent pour montrer comment à partir d'une simple odeur et d'un simple goût, notre cerveau peut puiser loin dans les souvenirs.

Shutter island - critique -

En 1954, Teddy Daniels et son coéquipier Chuck Aule, deux marshals, sont envoyés en mission sur Shutter island, une île où sont détenus les plus grands malades mentaux du pays, pour résoudre une enquête des plus mystérieuses. Rachel Solando, une patiente de l'hôpital, s'est mystérieusement évaporée de sa cellule sans que personne ne s'en aperçoive. Teddy pose des questions, trop gênantes, amenant à la surface les possibles failles du système psychiatrique de l'hôpital... La course à la vérité est alors enclenchée. Ce qui est formidable avec un type comme Martin Scorsese, c'est qu'on ne sait jamais trop à quoi s'attendre de ses films. Et ce qui est encore plus formidable avec un type comme Martin Scorsese, c'est sa capacité déconcertante à créer une atmosphère immédiate dés le début de ses films (Les nerfs à vifs, Les infiltrés). Ici, un grondement se fait entendre, puis un air musical angoissant (provenant du film Shinning), et les lettres en grosses capitales qui prennent tout l'écran sur fond de sirène de bâteau à la rescousse des éventuels survivants d'un naufrage. Le climat anxyogène est d'ores et déjà palpable et les vingt premières minutes, fiévreuses, rendent compte de l'intensité avec laquelle le réalisateur prend la main du spectateur pour le conduire dans un lieu inquiétant et pollué d'étrangetés en tout genre. Le film est presque à voir comme un huis-clos, qui pourtant est loin d'en être un : l'immensité de la mer, l'étendue du ciel, la végétation foisonnante, les fleurs joliment ensemencées dans la terre... Ainsi Shutter island joue avec nos nerfs avec un simple décor, un simple détail. Scorsese n'a rien laissé au hasard. Chaque plan conserve son capital d'informations pour déchiffrer les énigmes, chaque visage est savamment étudié pour interpréter les révélations de cette enquête. Il s'y dégage alors comme une ambiance de paranoïa, doucement folle, où chaque regard de revolver tire ses balles au moindre faux pas, et où chaque comportement est contrôlé à la moindre incartade.
La progression de l'histoire est hallucinante de maîtrise. Le spectateur ne se laisse à aucun moment happer par la fatigue de la narration. Dicaprio, qui monte à chaque fois en grade à chacune de ses prestations à l'écran, interprète avec brio son personnage, parfait à tous les niveaux, nous communiquant son stress et sa volonté de dévoiler le sordide secret qui semble peser sur l'île. Les seconds rôles, tous plus névrosés les uns que les autres, ne sont pas sans réserve. Aucun n'est anecdotique, et transfigurent leurs personnages dans une interprétation sans faille. Là où Scorsese mérite les éloges, c'est qu'il se n'est pas contenté d'amener de l'action pour le simple divertissement mais davantage par nécessité. Il a ainsi préféré travaillé sur l'esthétisme de son long-métrage, d'une si grande froideur qu'il rendrait compte dans la salle d'un courant d'air qui vous glacerait le dos. Shutter island respire donc le thriller sous toutes ses coutures, respectant tous les codes conventionnels du genre. Cadrages renversants, contre-plongées d'une grande audace, dialogues intelligents, acteurs impeccables, le film est un petit bijou noir comme on les aime et qui respire l'intelligence. En somme, un genre cinématographique en voie de perdition...

mardi 23 février 2010

Lovely Bones - critique -

Lovely Bones, ou l'histoire de Susie Salmon, une jeune adolescente de quatorze ans assassinée par un homme. De l'au-delà, Susie assiste, impuissante, à la tristesse de sa famille, et va tenter de parvenir à aider celle-ci afin de mettre la main sur son ravisseur.
Le scénario du film n'est pas un pur produit de l'imagination féconde de Peter Jackson. C'est d'Alice Sebold, écrivaine, à qui l'on doit cette dramatique histoire de cette jeune fille, violée et sauvagement tuée. Son livre, paru en français sous le titre de La Nostalgie de l'Ange, conquit le pays de l'oncle Sam en 2002. Jackson, qui abandonne sa Terre du Milieu, s'est donc aventuré sur les terres de Pennsylvanie. Et on ne comprend pas pourquoi ce géant du cinéma a voulu s'y empêtrer... Le film souffre d'un défaut qu'il est impossible d'en faire abstraction pendant ces interminables 2H15 : celui de la narration, ce qui est encore plus incompréhensible de la part d'un tel virtuose de la caméra à qui l'on doit une trilogie qui figure de nos jours parmi les plus cultes jamais réalisées dans l'histoire du septième art... Mais c'est un fait : Lovely Bones est assommant de nullité, et frôlerait presque l'indigence.
Côté qualité d'abord, c'est à dire très peu. L'héroïne qui interprète Susie est remarquable à tous les égards, et apporte au personnage une touche d'innocence vierge, que l'ogre Stanley Tucci déchiquette à pleines dents, notamment lors d'une scène assez palpable et crispante à six pieds sous terre. Le sujet, très sensible quand il s'agit de traiter des thèmes comme la pédophilie, ne vire jamais ici dans le glauque ou dans le voyeurisme. En effet, le film reste fort bien assemblé, et les images sont là pour prouver que Jackson n'a pas voulu bâtir son film sur un assassinat mais davantage sur la période qui succède à la perte d'un proche : comment continue t-on à vivre ? la vengeance est-elle nécessaire pour essuyer notre chagrin ? Lovely Bones n'est donc pas à voir comme un thriller (essayez donc de le voir comme tel et le film se révélera comme une catastrophe sans nom) mais comme une gigantesque hyperbole lourdingue sur la vie et la mort, un Ghost puissance quatre (la scène de la poterie en moins), empli de clichés indignes de Peter Jackson, et une musique tout juste acceptable qui aurait à la limite pu nous faire oublier tous ces désagréments... Ce qui n'est hélas pas le cas.
Lovely Bones constitue donc une grosse arnaque couleur pastelle, doublé d'une incroyable déception d'une qualité plus que médiocre. Ne sachant que faire dans le traitement psychologique brouillon de ses personnages chuitants, traînant en longueur la narration qu'il sabote avec des images de synthèse à peine impressionnables, le réalisateur nous donnerait presque l'envie de rire ! Le comble devant la gravité d'un tel sujet.

dimanche 21 février 2010

Sherlock Holmes - critique -

Sherlock Holmes, dans le Londres du XIXe siècle, est en manque d'énigmes à élucider et d'enquêtes à résoudre. Affiché avec son collègue de toujours, John Watson, Sherlock saute sur la première occasion pour mettre ses neurones à rude épreuve en tentant d'arrêter un criminel connu sous le sobriquet de Lord Blackwood. Ce dernier, potentiellement dangereux et réputé pour son exercice dans la magie noire, est arrêté et n'échappe pourtant pas à la potence. Mais revenu d'entre les morts, il compte bien assouvir ses plans jusqu'au bout, et devenir ainsi le maître du monde...
A quoi devons-nous nous attendre d'un film réalisé sous la houlette de Guy Ritchie himself, ex mari de Madonna ? A priori, pas grand chose. Cependant, mauvaise langue que je suis, force est d'admettre que son long métrage s'en sort plutôt haut la main, même s'il est handicapé par de si grands défauts qu'il rabaisse Sherlock Holmes à un film creux dans la réflexion et pire, à un film dénaturant tout un mythe sur son personnage principal. Sir Arthur Conan Doyle fait bien d'être mort. Ritchie reprend à sa sauce de cuisto le personnage légendaire, avide d'énigmes les plus tortueuses, pour en construire un faux gentleman pédant et je-m'en-foutiste, cheveux dans le vent à la l'Oréal et abdominaux en béton. Rien, de l'image traditionnelle que nous nous faisions de cet élégant homme british aux bonnes manières, ne concordent avec l'attitude de notre Holmes ici. Son acolyte, Watson, sert de faire-valoir tout le long du long métrage, et ce n'est pas la prestation fade au possible de Jude Law qui viendra ajouter de la séduction et du charisme au résultat final. L'atout ne semble donc pas reposer sur la performance de ses acteurs, et encore moins sur son histoire, ridicule, ennuyeuse et plate comme une crêpe. Alors, me direz-vous, qui y a t-il à sauver de ce naufrage ?
Et bien là où Ritchie s'est révélé plutôt intelligent (car sans doute conscient de son scénario bancal comme tous blockbusters qui se respectent), c'est d'avoir misé sur un esthétisme irréprochable, plongeant le film dans un Londres crapoteux, entre des barbaques de porcs et la puanteur de ses égouts. Il n'y a rien à redire sur les passages nocturnes, d'une troublante beauté, qui saluent la performance des décors, des photographes, mais aussi des cadreurs (le final est très réussi). La musique de Hans Zimmer vient évidemment, et comme toujours, rajouter un petit plus pour donner au film la personnalité que n'a su donner ses interprètes. Les énigmes sont bien façonnées, mises en scène par des sortes de clip vidéo nerveux faisant des allers et retours incessants ; mais qui, malheureusement, évitent au spectateur d'activer son cerveau, en transformant le mystère en rationalité. Ce qui, à mon sens, reste la principale erreur du film. Sherlock Holmes se laisse donc regarder, pour le simple divertissement qui n'est point un crime, mais ne restera en rien dans les annales du septième art comme le film qui aura su fait renaître un des hommes les plus fascinants du XIXe siècle victorien en Angleterre.

mercredi 3 février 2010

La princesse et la grenouille - critique -

Tiana est nourrie d'espoirs dès sa plus tendre enfance. Depuis toute petite, elle rêve en effet de bâtir son propre restaurant, et cela à la mémoire de son père. Mais le manque de moyens financiers la fait revenir sur terre : Tiana doit travailler dur pour parvenir à ses fins. Sa meilleure copine, enfant pourrie gâtée, ne l'aide pas beaucoup dans sa démarche, ne manquant jamais une occasion de lui étaler sa situation aisée. Mais un jour, Tiana, par un heureux concours de circonstances, est habillée en grande dame du monde. C'est alors qu'elle fait la rencontre d'une grenouille qui lui assure être un prince victime d'une injuste malédiction...
Il aura fallu un bon paquet d'années pour que Disney se rende enfin compte que c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes, à savoir le retour au dessin traditionnel. La princesse et la grenouille constitue pour cela une perle de l'animation, avec ses couleurs bigarrées, chatoyantes, ses soucis effarants du détail et cette fluidité dans les mouvements qui impressionnent à chaque seconde. La Nouvelle-France renaît sous nos yeux, avec tous les clichés qui accompagnent la Louisiane, les costumes et l'ambiance musicale entre jazz nostalgique et blues acidulé.
L'histoire est bien moins originale que les classiques Pixar, mais suffisamment minime pour laisser les petits aller bon train dans leur imagination. La particularité d'avoir mis en scène pour la première fois une héroïne afro-américaine (conséquence de l'effet "Obama") a fait beaucoup couler d'encre. Disney a osé tirer des nouvelles ficelles, et le mérite n'en ressort que plus grand. Tiana, ce n'est pas seulement une personne de couleur noire, c'est aussi le porte-parole d'un monde légèrement plus ouvert d'esprit. Et même si Disney a parfois eu tendance à vouloir pousser le bouchon trop loin en faisant peser sur la balance la brave noire pauvre et intègre de sa personne (Tiana) avec la blanche infernale et sclérosée dans sa bulle dorée (Charlotte), le message captive toutes les générations et apparaît au final comme un beau réquisitoire contre l'intolérance.
Les personnages reprennent la parole et chantent à travers de somptueuses chorégraphies. Les multiples clins d'oeil aux précédents films d'animation Disney sont légions (La petite sirène, Aladdin, Cendrillon, Bernard et Bianca...), faisant ainsi de La princesse et le grenouille un hommage à ses ancêtres. L'on reprochera néanmoins une prise de risque de la part de Disney assez superficielle dans la mise en scène de ses seconds couteaux : le classique trublion de service, l'incompris et le beau gosse narcissique seront de la partie. Pour les plus sarcastiques d'entre nous, il suffira donc seulement de fermer les yeux et de suivre l'histoire pour se rendre très bien compte de la physionomie de ces personnages, répondant à tous les critères de bases qu'on est en droit d'attendre.
Finalement, La princesse et la grenouille est là pour confirmer le haut talent inépuisable des studios Disney. Le retour à la planche est largement réussi, grâce à des décors pleins de chaleur et ses personnages attachants. Peut-être trop niaiseux dans le traitement des sentiments (aimant s'engouffrer sans limite dans le happy-end écoeurant), La princesse et la grenouille nous fait néanmoins passer un bon moment innocent et optimiste, au service d'une fresque musical entraînante.

mercredi 20 janvier 2010

Agora - critique -

IVème après Jésus-Christ. Alexandrie est sous la domination des romains. Hypatie, une brillante astronome, tente de préserver, malgré la menace des chrétiens qui se profile, les connaissances accumulées au fil des siècles dans la bibliothèque de l'atrium. Les guerres de religion émergent petit à petit, et les disciples d'Hypatie sont indécis quant au camp à choisir. Surtout que les chrétiens deviennent de plus en plus violents pour imposer leur foi...
Le nouveau film de Amenabar a de quoi susciter de nombreuses interrogations lors de la projection. En effet, il se pourrait que de nombreux spectateurs ne parviennent pas ou peu à saisir l'intérêt que le réalisateur a eu d'avoir inclus l'astrologie avec les guerres qui ont fait rage à cette époque. La suprématie imminente du christianisme est ici démontrée avec la crudité qu'il fallait pour éviter de plonger le film dans un bain de sang. Certes, certaines scènes sont d'une violence inouïe mais Amenabar n'attarde jamais sa caméra dans la complaisance de détails sordides. La vraie force avec laquelle le cinéaste s'est empruntée, c'est l'adoption du point de vue philosophique face à ces phénomènes. L'idée est de montrer que la situation telle qu'elle fut il y a dix-sept siècles est exactement la même que celle d'aujourd'hui : toujours ces politiciens véreux, ces illuminés pseudo-religieux qui se disent guidés par les voies impénétrables de leur seigneur, pour mieux imposer à son peuple ses exigences. L'intolérance, la haine, la barbarie dont l'homme peut être capable... tout cela est suggéré explicitement (des plans audacieux sur ces milliers d'hommes, tels des fourmis que l'on veut écraser, qui détruisent tout sur leur passage) et implicitement (la volonté inébranlable d'Hypatie pour comprendre le fonctionnement de l'univers).
Rachel Weisz est donc on ne peut plus crédible dans ce rôle de femme forte, au milieu de ces fauves misogynes. En essayant de véhiculer l'idée selon laquelle qu'importe la religion, nous sommes tous des frères via la pensée universelle, Amenabar fait grincer des dents. Car le postulat, simpliste et quelque peu radoteur, aurait pu grandement gagner en maturité dans le film, au lieu de s'embourber dans des scènes inutilement trop longues. Le film traîne en longueur, et malgré des plans audacieux (des vues aériennes d'une maîtrise totale / une image inclinée à 180° pour mieux se rendre compte de l'absurdité ahurissante du comportement humain), Amenabar n'arrive pas toujours à recentrer son sujet de manière centripète. Par exemple, les afflux amoureux de Davus et Oreste vis à vis d'Hypatie sont très maladroitement mis en scène, et les acteurs incarnant ces roucouleurs ne parviennent pas toujours à nous convaincre (cf. Davus et son jeu monolithique). Agora constitue donc un bon péplum en ce qu'il a d'innovant de privilégier la métaphysique sur le grand spectacle. Le travail lissé d'Amenabar est d'autant plus méritant qu'il touche à chaque fois tous les genres cinématographiques. Mais avec quelques raccourcis ou une meilleure huile de coude, le cinéaste aurait pu ici faire d'Agora un film qui frappe très fort. Karl Marx disait que "La religion est l'opium du peuple". Ici, même si la citation devient anachronique, on en a la parfaite illustration : l'homme, obligé de croire en quelqu'un d'autre que lui même, qui se meurt à tuer les autres qui ne rentre pas dans ses idéaux... D'ailleurs, Amenabar, lors d'une interview, affirmait que si les chrétiens n'avaient pas détruit la bibliothèque d'Alexandrie et tous les précieux documents qu'elle renfermait, nous saurions sans doute aujourd'hui comment voyager de planète en planète. Alors la Religion, un frein au développement de la Culture ?

mardi 19 janvier 2010

Bel-Ami de Maupassant - critique -

Georges Duroi est un jeune homme inscrit dans les canons de son époque : élégant, prestant... il attire sans mal les femmes autour de lui. Au hasard d'une rencontre dans le quartier de la Madeleine à Paris, Georges se retrouve nez à nez avec l'un de ses amis d'autrefois. Là commence alors son ascension dans la vie professionnelle. Georges va prendre goût à manipuler les autres pour parvenir à ses fins et arriver ainsi au sommet. Voilà l'histoire de ce Bel-Ami, sur fond de capitalisme et d'un Paris en pleine expansion coloniale.
Après le succès fulgurant d' Une vie, publiée en 1883, Guy de Maupassant se replonge dans le roman. Qui dit roman dit donc histoire. Mais avec Maupassant, la fiction n'en ai jamais véritablement. Plus qu'une simple oeuvre racontant les déboires d'un homme détestable, Bel-Ami est avant tout une plongée réaliste dans le milieu journalistique, politique et financier du XIXe siècle. Cela aurait pu constituer une belle entrave quant à l'immersion à proprement dite dans la narration, mais Maupassant n'oublie jamais que son public est avant tout constitué de gens hétéroclites et que parti de ce point de vue là, les codes et les ficelles de son écriture doivent se faire le moins opaque possible. Avec Bel-Ami, inutile donc de se documenter longuement sur le contexte (quoiqu'il aiderait surement davantage pour comprendre au mieux la société parisienne de cette époque). Pour dénoncer ce prisme infernal où chacun mord l'autre, se disputant sans arrêt le meilleur scoop, Maupassant invente pour cela un personnage, Georges Duroi, et c'est à travers lui que toutes les fissures et les bancalités de son époque vont apparaître à la surface. Au départ, Georges Duroi apparaît un peu comme le rural innocent, étonnamment surpris par le rythme de la vie mondaine, et veut croire en ses capacités de se faire l'avocat du diable. Puis petit à petit, Duroi écrase toutes ses convictions et n'hésitera pas un seul instant à se servir de son entourage pour grimper dans l'échelle sociale. Son nom est d'ailleurs évocateur, comme si Maupassant prévenait son lecteur de la victoire de celui-ci, Duroi ou "le roi". Le lien entre le caractère humain et divin combiné dans un seul homme atteint une étrange proximité. Duroi profite de son pouvoir de séduction pour appâter les femmes et les manipuler à sa guise. Crapule de première catégorie, Duroi dégoûte le lecteur de par ces agissements immoraux. Mais paradoxalement, derrière tout cet opportunisme exacerbé, le lecteur lui vouera un total respect, d'avoir par exemple si bien su comprendre comment fonctionnait les rouages et les mécanismes de son temps.
Une vie possédait un rythme lancinant, lent, qui épousait parfaitement la personnalité de son héroïne Jeanne. Avec Bel-Ami, changement radical de décor : Maupassant enchaîne volontairement les séquences, les soirées mondaines, et chaque évènement se répercute sur le suivant comme un effet domino. L'écriture de l'auteur accomplit une fois de plus des merveilles. Le sentiment profond d'haïr ce personnage arriviste ne se fait pas du tout attendre. La femme est ici un pion, tendance sadomasochiste, qui en redemande. Les Walter comprennent bien trop tard les intentions véritables de Georges (une peuplade constituée d'oeillères ?) et en paieront le prix fort pour ce débordement de naïveté insupportable : Madeleine la mère, qui dilapide sa fortune pour satisfaire les attentes de son amant, finira seule à pleurer dans une église ; et sa fille Suzanne exécutera un mariage raté d'avance. La femme apparaît donc comme une créature influençable, déconcertante d'optimisme là où il n'y a plus à espérer. Maupassant se veut sévère mais c'est pour mieux juger avec entrain les comportements odieux des hommes, qui se servait impunément de l'intelligence et la finesse du beau sexe. Certaines analyses parlaient même du caractère quelque peu androgyne de Duroi, un "homme-femme" qui n'a aucun mal à changer d'apparence, que ce soit pour montrer ses crocs devant les requins du journalisme ou pour libérer la fine fleur de sa sensibilité devant les femmes.
Pour approfondir et saisir au mieux tous les codes de ce roman, je vous invite à vous tourner au profil de cet ouvrage, qui constitua il y a quelques temps une oeuvre phare dans l'enseignement secondaire. Je dirais juste que Bel-Ami est une pièce maîtresse dans la bibliographie de Maupassant, et un chef d'oeuvre d'intelligence où l'écriture devient parfum de sentiments. On a la très nette sensation que ce Paris du XIXe siècle, celui à la fois des affaires et des mondanités, vibre au gré des pages. On imagine fort bien toutes ces garçonnières vaudevilliennes, ces rues habitées par les hommes en haut de forme ou chapeaux de canotiers, ces femmes avec leurs ombrelles, ravissantes dans leurs corsets dentelés... Ces soirées de bourgeois où chacun se pavane, entre deux verres de vin... La magie Maupassant, c'est aussi cela : son aptitude reconnue pour ses descriptions magiques, sa narration intemporelle et son incroyable capacité de maître-écrivain à faire ressentir des émotions.

lundi 11 janvier 2010

Bliss - critique -

Bliss Calendar a 17 ans et s'ennuie ferme dans sa petite vie de lycéenne. Entre une mère qui l'inscrit presque de force à des concours de beauté et un job dans un fast food beauf et miteux qui ne l'épanouit en rien, Bliss ne rêve que d'une seule chose : s'entraîner au derby roller ! Elle se rend pour cela avec son amie Pash dans la ville d'Austin pour juger sur place de l'intérêt qu'elle voue à ce sport brutal. C'est alors le coup de foudre. Bliss commence à mener une double vie...
Cinéma d'auteur un jour, cinéma d'auteur toujours. Comme l'on s'y attend avant même d'avoir poser une seule fesse sur le siège du cinéma, Bliss est à voir comme une petite comédie rafraîchissante, bien loin des canons cul-cul d'Hollywood ou bien des romances dégoulinantes d'eau de rose. Pour son premier long métrage, Drew Barrymore s'en sort haut la main. Enchaînant des plans propres et soignés et des seconds rôles tous en importance, Bliss est un bon petit sédatif, euphorisant comme il faut, sur fond de punk rock à la girls qui se fightent sévère dans des courses effrénées au roller. Dans Bliss, ça cogne, ça croche-patte, ça castagne, ça coup-de-boule (ou presque). La gente masculine n'a qu'à bien se tenir ! Et qu'importe la légère immaturité dans laquelle semble s'être plongée Barrymore, son film en ressort comme un bon délire de jeunes, avec ses messages et ses leçons (ne pas s'engager trop vite dans une relation, croire en ses idéaux, savoir pardonner...). On en ressort tout sourire, des lèvres jusqu'aux oreilles, et avec la patate !
Mais Bliss repose essentiellement sur le charme naturel et déroutant de son interprète principal : Ellen Page, ou Barbie Destroy ! Spontanée, lumineuse, pleine de douceur et de volonté, Ellen Page fait partie de ces très rares acteurs à adopter sans mal ce que l'on appelle des micro-mimiques : des expressions faciales, sortes de signes non-verbaux très faibles, presque subliminaux qui entrent en relation directe avec le mental du spectateur. Tour à tour désarmée, puis combative, le personnage de Bliss se transforme et affronte ses problèmes. Et à l'instar d'un certain Little Miss Sunshine, Barrymore a eu l'intelligence de ne pas verser le dénouement de son intrigue dans le tout est bien qui finit bien. Au final, que de légèreté menée bon train dans cette comédie ensoleillée. Même si le scénario manque de consistance, il faut parfois aller au-delà et apprécier comme il se doit ces films qui se fichent royalement de la bonne et sainte convention. Le passage derrière la caméra est donc réussi, conférant à Drew Barrymore un début plus que prometteur sur grand écran.