mardi 19 janvier 2010

Bel-Ami de Maupassant - critique -

Georges Duroi est un jeune homme inscrit dans les canons de son époque : élégant, prestant... il attire sans mal les femmes autour de lui. Au hasard d'une rencontre dans le quartier de la Madeleine à Paris, Georges se retrouve nez à nez avec l'un de ses amis d'autrefois. Là commence alors son ascension dans la vie professionnelle. Georges va prendre goût à manipuler les autres pour parvenir à ses fins et arriver ainsi au sommet. Voilà l'histoire de ce Bel-Ami, sur fond de capitalisme et d'un Paris en pleine expansion coloniale.
Après le succès fulgurant d' Une vie, publiée en 1883, Guy de Maupassant se replonge dans le roman. Qui dit roman dit donc histoire. Mais avec Maupassant, la fiction n'en ai jamais véritablement. Plus qu'une simple oeuvre racontant les déboires d'un homme détestable, Bel-Ami est avant tout une plongée réaliste dans le milieu journalistique, politique et financier du XIXe siècle. Cela aurait pu constituer une belle entrave quant à l'immersion à proprement dite dans la narration, mais Maupassant n'oublie jamais que son public est avant tout constitué de gens hétéroclites et que parti de ce point de vue là, les codes et les ficelles de son écriture doivent se faire le moins opaque possible. Avec Bel-Ami, inutile donc de se documenter longuement sur le contexte (quoiqu'il aiderait surement davantage pour comprendre au mieux la société parisienne de cette époque). Pour dénoncer ce prisme infernal où chacun mord l'autre, se disputant sans arrêt le meilleur scoop, Maupassant invente pour cela un personnage, Georges Duroi, et c'est à travers lui que toutes les fissures et les bancalités de son époque vont apparaître à la surface. Au départ, Georges Duroi apparaît un peu comme le rural innocent, étonnamment surpris par le rythme de la vie mondaine, et veut croire en ses capacités de se faire l'avocat du diable. Puis petit à petit, Duroi écrase toutes ses convictions et n'hésitera pas un seul instant à se servir de son entourage pour grimper dans l'échelle sociale. Son nom est d'ailleurs évocateur, comme si Maupassant prévenait son lecteur de la victoire de celui-ci, Duroi ou "le roi". Le lien entre le caractère humain et divin combiné dans un seul homme atteint une étrange proximité. Duroi profite de son pouvoir de séduction pour appâter les femmes et les manipuler à sa guise. Crapule de première catégorie, Duroi dégoûte le lecteur de par ces agissements immoraux. Mais paradoxalement, derrière tout cet opportunisme exacerbé, le lecteur lui vouera un total respect, d'avoir par exemple si bien su comprendre comment fonctionnait les rouages et les mécanismes de son temps.
Une vie possédait un rythme lancinant, lent, qui épousait parfaitement la personnalité de son héroïne Jeanne. Avec Bel-Ami, changement radical de décor : Maupassant enchaîne volontairement les séquences, les soirées mondaines, et chaque évènement se répercute sur le suivant comme un effet domino. L'écriture de l'auteur accomplit une fois de plus des merveilles. Le sentiment profond d'haïr ce personnage arriviste ne se fait pas du tout attendre. La femme est ici un pion, tendance sadomasochiste, qui en redemande. Les Walter comprennent bien trop tard les intentions véritables de Georges (une peuplade constituée d'oeillères ?) et en paieront le prix fort pour ce débordement de naïveté insupportable : Madeleine la mère, qui dilapide sa fortune pour satisfaire les attentes de son amant, finira seule à pleurer dans une église ; et sa fille Suzanne exécutera un mariage raté d'avance. La femme apparaît donc comme une créature influençable, déconcertante d'optimisme là où il n'y a plus à espérer. Maupassant se veut sévère mais c'est pour mieux juger avec entrain les comportements odieux des hommes, qui se servait impunément de l'intelligence et la finesse du beau sexe. Certaines analyses parlaient même du caractère quelque peu androgyne de Duroi, un "homme-femme" qui n'a aucun mal à changer d'apparence, que ce soit pour montrer ses crocs devant les requins du journalisme ou pour libérer la fine fleur de sa sensibilité devant les femmes.
Pour approfondir et saisir au mieux tous les codes de ce roman, je vous invite à vous tourner au profil de cet ouvrage, qui constitua il y a quelques temps une oeuvre phare dans l'enseignement secondaire. Je dirais juste que Bel-Ami est une pièce maîtresse dans la bibliographie de Maupassant, et un chef d'oeuvre d'intelligence où l'écriture devient parfum de sentiments. On a la très nette sensation que ce Paris du XIXe siècle, celui à la fois des affaires et des mondanités, vibre au gré des pages. On imagine fort bien toutes ces garçonnières vaudevilliennes, ces rues habitées par les hommes en haut de forme ou chapeaux de canotiers, ces femmes avec leurs ombrelles, ravissantes dans leurs corsets dentelés... Ces soirées de bourgeois où chacun se pavane, entre deux verres de vin... La magie Maupassant, c'est aussi cela : son aptitude reconnue pour ses descriptions magiques, sa narration intemporelle et son incroyable capacité de maître-écrivain à faire ressentir des émotions.

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