lundi 31 août 2009

Notre coeur de Maupassant - critique -

Dans le Paris de la fin du XIXe siècle, André Mariolle, un aristocrate qui gagne sa vie sans travailler, fait la rencontre de Madame de Burne, une bourgeoise. D'abord insensible à ses charmes, il se prendra d'amour pour elle, d'un amour barbare qui le consumera petit à petit.
Voilà que s'achève en cette fin d'été 2009 le marathon Maupassant avec Notre coeur, son sixième et ultime ouvrage. Notre coeur, ou son testament pour ainsi dire, où Maupassant décrit pour la dernière fois la Haute société mondaine parisienne avec une fois de plus une analyse psychologique des plus tortueuses. Maupassant souffrait à cette époque de la syphilis et d'une forme de paranoïa aiguë, les antécédents familiaux n'arrangeant rien à l'affaire (une mère dépressive et un frère mort fou). Son état mental se dégrade et après une tentative de suicide, il sera enfermé dans une clinique dans le quartier de Passy à Paris en 1892. Notre coeur peut donc apparaître comme le roman d'un illuminé pour qui la folie le rongeait chaque jour de plus en plus. Mais là où la qualité d'écriture aurait pu être grandement altérée, force est d'admettre qu'elle se révèle être tout le contraire. J'irai même plus loin en affirmant que sans sa dépression, l'ouvrage n'aurait pas conservé autant de sa verve. Notre coeur forme ainsi avec Fort comme la mort un diptyque déguisé en une déclaration abusée sur l'amour, ce sentiment qui nuit à l'Homme et qui le voue à la solitude.
Avec Notre coeur, pour la première fois, c'est la femme qui a le pouvoir, associée ici à une constante faiblesse. Maupassant apparaît alors en total misogyne qui critique la femme comme un monstre qui use de ses charmes pour mieux faire tomber les hommes et qui "dompte les amoureux comme le chasseur poursuit le gibier". Cette femme, c'est Madame de Burne (le côté satirique du nom est bien mis en avant). Elle est "fière de son charme", "amoureuse de sa beauté irrégulière", "sûre de la finesse de sa pensée"... En d'autres termes : narcissique et prétentieuse. Il l'a dépeint au début comme un ange de grâce pour ensuite la révéler comme une mante religieuse de disgrâce. Sous prétexte qu'elle aurait vécu un premier mariage complètement raté (un mari violent et odieux), elle adopte désormais une vie plus libre, presque volage, jouant ainsi des hommes aux besoins de son quotidien, nécessitant de sa petite cour de prétendants pour se sentir bien être. En bref, Madame de Burne incarne une Emma Bovary des temps modernes (ultime hommage de l'auteur à son ami Flaubert) chassant-croisant ses relations amoureuses et se parfumant comme une cocotte.
La victime se nomme André Mariolle, pour qui la séduction théâtrale de Madame de Burne lui fut au départ indifférent. Puis, c'est l'amour sauvage. Comme Jeanne avec Julien, Christiane avec Paul, Anne avec Olivier, Madame de Marelle avec Georges, l'amour est une odieuse tromperie qui émeut au début, s'effrite au milieu, et se dégrade vers la fin, pour n'en plus rien rester. Le livre lui-même est une gradation en même temps qu'une descente aux enfers d'André. Son amour est partagé puis sonne l'heure des retardements aux rendez-vous puis au final, l'amour devient à sens unique. C'est un fait pour Maupassant : "L'amour ne devient plus qu'une légende, faite pour être chantée en vers ou contée en des romans trompeurs".
Car Notre coeur est avant tout aussi un adieu aux femmes de sa vie, dont il a été victime, dont il n'a sans doute jamais compris ou saisi leurs véritables essences, qui l'ont tourmenté, qui ont sans doute été en partie responsables de sa maladie et qui sont "toutes des ratées, des délicieuses ratées". Car Madame de Burne est somme toute bien cruelle face à son amant. Elle le charme pour mieux se faire-valoir, puis se sert de lui comme on se sert d'une fourchette pour manger, puis le laisse tomber. Enfin, elle le repêche pour se prouver à elle-même qu'elle peut être indispensable dans son coeur. Maupassant est donc très inquiet et extrêmement pessimiste quant au dénouement heureux d'un amour mutuel, et n'est pas le partisan hagard qui croit en la tendresse infinie entre l'homme et la femme. Ils constituent deux sexes qui s'emboîtent anatomiquement, certes, mais qui resteront à tout jamais pour lui deux êtres totalement différents qui ne se comprendront jamais vraiment. Le dénouement d'ailleurs n'aboutit à aucune fin concrète, laissant le dramatique prendre le pas, et le schéma se répétant inlassablement, André devient à son tour Madame de Burne.
Néanmoins, et c'est ce qui fait toute l'oeuvre unique de Maupassant, son grand génie à avoir su si bien dire les choses avec les mots qu'il fallait, on ne peut s'empêcher de garder une note d'espoir à chacune de ses fins de roman. Un espoir, caché, enfoui au plus profond de nous, qui refuse de se déclarer perdant, de s'adonner à ce pessimisme, et qui donne envie d'en tirer des leçons sans avoir connu au préalable son expérience à lui. Maupassant est finalement un homme qui a très bien compris son époque, et qui en a été tellement la victime qu'il en est tout simplement mort. Mort de dégoût envers cette société aristocratique arriviste qui vit dans le paraître (il fait tomber les barrières sociales entre André et Elisabeth sur fond de tableau Watteaunien), mort de lassitude pour avoir aimer des femmes qui n'ont su donner que leurs corps, et mort peut-être pour s'être trompé d'époque.
Assurément, Maupassant constitue l'un des plus talentueux et fantastiques écrivains du XIXe siècle, dont la langue française, si riche, si vivante et si infiniment poétique, n'avait plus de secret pour lui.

lundi 24 août 2009

Mont-Oriol de Maupassant - critique -

Christiane Andermatt et son mari William vont se faire une cure à Enval, dans le Splendid Hôtel, un centre d'eaux thermales. Ils sont rejoints par le frère de celle-ci, Gontran, puis Paul, l'ami de ce dernier. Délaissée par son mari, trop occupé à ses projets financiers, Christiane s'éprend de Paul...
Mont-Oriol est le troisième roman sur les six à voir le jour, en 1887. Ce sera l'unique fois chez Maupassant où l'intrigue amoureuse est ici combinée à une intrigue financière. Le résultat est, à mon grand dam, mi-figue mi-raisin. Jamais un roman de Maupassant, bien qu'il ne constitue qu'une mineure partie dans sa bibliographie (Maupassant étant davantage un auteur à contes et nouvelles), ne m'aura déçu. On sent bien dans Mont-Oriol la satire du milieu médical (le rapprochement Oriol-Guignol peut d'ailleurs prêter à sourire) comme principale roue motrice de ces péripéties : la volonté d'Andermatt de fonder son petit empire par la création d'une cure thermale, sans oublier le thème des coeurs brisés, cher à l'auteur.
L'amour chez Maupassant, ce n'est plus un secret, ne connaît pas de fin heureuse. Christiane, démente, se transforme ici en une vraie loque, aimant follement son ancien amant qui l'a délaissé par lassitude. Chaque femme se différencie selon leur expérience : Charlotte tombera dans le panneau, Louise restera sur ses gardes. Et quant à Mme Honorat, "cette grosse femme", sa vie est déjà toute tracée. A contrario, la gente masculine est une seule et même personne : peinte comme une gente calculatrice, qui rôde comme des vautours autour des femmes dans le seul but qu'elles leur apportent un intérêt financier (dot, héritage des terres...). Seulement, dépeindre l'homme en brigand sentimental est facile à faire, et le fait que Maupassant est choisi cette facilité-là pour victimiser les femmes peut nous surprendre. Nous étions habitués à bien plus de subtilité de sa part (quoique qu'avec Bel-Ami nous avions la définition même de l'arriviste). Le constat peut sembler donc méchant pour nous les hommes : le mâle manipule, est joueur et ne se soucie guère des états d'âmes de ses maîtresses.
Ensuite, Mont-Oriol, c'est bien évidemment le besoin qu'à l'homme de toujours rêver plus grand, plus loin, toujours plus. Andermatt (vilaine caricature du juif, Maupassant antisémite ?) part sur l'idée d'un geyser pour construire une cure thermale. Il se sert de son intelligence, en bon homme d'affaire mondain parisien qui se respecte et qui est habitué à se jouer des manigances de ces adversaires, pour profiter de la crédulité de ces paysans auvergnats. Encore une fois, la caricature est facile : le paysan est un ignorant des affaires et le mondain reste le tout-puissant des bourses. La raison du plus fort est toujours la meilleure... on sentirait presque un Maupassant snob et hautain qui toise les campagnards, forcément à la ramasse. Mont-Oriol, c'est justement cela : plein de petits tableaux à l'intérieur d'autres tableaux, une sorte d'une multiple mise en abîme où les perspectives d'acquérir du pouvoir par n'importe quel moyen ne sont pas très jolies à voir.
Au final, Mont-Oriol me paraît être le moins bien des Maupassant. On sent toujours le brio de sa plume, sa faculté à toujours décrire les petites nuances qui traversent chaque situation et en cela, l'omniscience fait des miracles. Les envolées nocturnes entre Paul et Christiane sont un sommet de romantisme ! Mais il manque un je-ne-sais-quoi qui empêche l'oeuvre d'être au-dessus des autres : une fin où l'on reste sur sa fin, la peinture d'un XIXe siècle capitaliste qui n'évite pas la caricature. Mont-Oriol paraît donc plus comme une chronique, un témoignage de l'époque sur les spéculations boursières et la déshydratation de l'homme par l'argent, plutôt que comme une fiction pure et simple, où le destin des personnages ne font plus qu'un avec l'histoire.

dimanche 23 août 2009

Souvenirs, souvenirs... (air connu)

Quel souvenir gardez-vous le plus en mémoire de votre enfance ? Des madeleines ? Le parfum de votre mère ? La piscine en été ? Les trois en même temps ?
Des bons souvenirs d'enfance, j'en ai en pagaille, à la pelle même ! Sauf que voilà, j'en ai retrouvé un sur Dailymotion, à savoir un jeu-vidéo qui m'a beaucoup marqué : Final Fantasy IX. Dragons, épées, magie, amour, fantaisie... Le seul jeu sur lequel j'aurai été un vrai geek du haut de mes quinze balais, passant ainsi plus de 300 heures dessus... agrafé de quelques nuits blanches. De la folie ! Voici la bande annonce qui m'avait fait connaître ce jeu à l'époque !

Cela a suffit pour égayer ma journée tiens :-) !

vendredi 21 août 2009

Numéro 9 - critique -

Numéro 9 est une petite créature, conçue par un scientifique, qui se réveille dans un monde de mort et de désolation, où les machines règnent et où l'humain n'existe plus. Dans sa quête, numéro 9 rencontrera le reste de sa communauté et prendra conscience qu'il a une mission : sauver l'Humanité. Rien que ça...
L'apparition au générique des mots de "Tim Burton" ne figure pas par hasard. Il est un extraordinaire coup de pub pour attirer une masse de gens et assurer ainsi la garantie du succès pour ce film d'animation. Sauf qu'on ne retrouve ici ni la musique, ni la personnalité du génie artistique. Il n'est que le producteur, le réalisateur étant Shane Acker, n'en déplaise aux détracteurs. Le monde de numéro 9 ne possède aucune touffe d'herbe mais d'un amas de débris, d'ordures, de poussières, de fumées et de ruines. Un décor d'apocalypse déprimant qui surprend par sa brutalité et son radicalisme qui pourrait bien horrifier les petits enfants. Décidément, avec le récent et superbe Coraline, le film d'animation ne fait plus parti officiellement de la cour des petits.
Pourtant, malgré l'évident potentiel de ce film, on s'ennuie ferme. Les batailles se succèdent en surdose et à répétition, on retrouve les infernaux clichés (la poupée homme qui tombe amoureux de la poupée femme, le faire-valoir, le bon, la brute & le truand...) venant classifier numéro 9 comme un cliché cousu de fil blanc. Le scénario est quasi-inexistant, la musique passe complètement inaperçue et on ressort de la salle en ayant l'impression d'avoir assisté à un cauchemar qui fit l'effet d'un gros pétard mouillé. Pourtant on ne cesse de se dire "Dommage !". Car du potentiel comme je le disais, il y en avait. La 3D est parfaite pour commencer, les décors sont bluffants de réalisme. Les rotations des plans, les mouvements et les articulations des personnages sont impeccables, et le talent de Acker est ici incontestable pour créer une aventure. Seulement, il ne s'en dégage aucune particularité propre qui pourrait la différencier de ses cousins. Avec Coraline, on n'a qu'à penser par exemple à l'ambiance gothique, au chat noir ou aux soeurs trapézistes, avec Là-Haut, on retient principalement le délirant Doug et l'épisme jouissif des scènes... Avec numéro 9, pas grand chose, si ce n'est des petites créatures attachantes mais sans plus. Le film est donc hélas à mes yeux pratiquement raté car ironiquement mou et sans charme. Qui sait, le brouillon du réalisateur pour ses prochaines oeuvres...

jeudi 20 août 2009

Attention, évènement !


Parce que ce film nourrit les plus folles aspirations et les plus fous fantasmes, parce qu'il aura fallu près de douze années pour le réaliser, Avatar, réalisé par James Cameron se voit dévoilé par une bande annonce tout bonnement superbe. Attention les yeux et rendez-vous le 16 décembre !

vendredi 14 août 2009

Les Hauts de Hurle-Vent de Emily Brontë - critique -

Milieu du XVIIIe siècle. Mr. Earnshaw ramène de la ville un jeune bohémien sous son manteau, miséreux et abandonné. Dès lors, la malheur s'abat sur la propriété de Hurle-Vent. Hindley, le fils, le haït comme personne et Catherine, la fille, entretient avec Heathcliff une relation amoureuse. Les générations passent et Heathcliff n'oublie pas la vengeance qu'il prépare, quitte à tout détruire sur son passage : l'espoir et l'humanité.
Critiquer et analyser une oeuvre phare de la littérature anglo-saxonne qu'est Wuthering Heights peut sembler ridicule en quelques lignes, tellement l'histoire et ses personnages méritent une attention toute particulière, qu'il conviendrait d'en faire un bouquin...
On sent dès les premières lignes qu'on a devant soi de la haute littérature et que les Hauts de Hurle-Vent est un véritable classique. La plume d'Emily est fine, gracieuse, élégante, précieuse et sa façon de raconter les tourments de cette famille est unique en son genre. Elle rapporte les faits à travers Hélène Dean, la domestique qui a tout vu, qui les rapporte elle-même à Mr. Lockwood, le nouveau locataire de la Grange, annexe de Hurle-Vent. Le récit est majoritairement pessimiste et donne envie de se révolter tout en nous indignant : certains personnages sont infectes, dépourvus d'humanité, d'une noirceur d'âme qui les enténèbrent complètement. C'est la raison pour laquelle Brontë ne décrit que très rarement les lieux et encore moins les tenues vestimentaires de ses personnages. Elle veut laisser supposer qu'on est capable de le faire à travers son écriture et son aptitude extraordinaire à narrer ce maelström de relations humaines entre gens qui s'aiment et qui ne s'aiment pas. Heathcliff est l'anti-héros, victime dans un premier temps puis bourreau dans l'autre. Il n'a aucune compassion envers les faibles, haït l'Homme et symbolise donc ce loup qui a toujours faim d'égorger et de détruire à Hurle-Vent. Il est noir de salissure, physiquement et moralement ; rôde comme un prédateur sur les terres de Hurle-vent et de la Grange, et parvient pratiquement toujours à ses fins. Si la trame peut sembler classique avec un air de déjà-vu, il ne faut pas oublier que le roman date de la moitié du XIXe siècle et qu'en tant que tel, Brontë déploie une imagination incroyable dans le récit pour ce qui est de dépeindre les natures humaines, et les noirs desseins qui nous habitent tous et qui habitaient sûrement son entourage à l'époque. Alors, Emily Brontë : précurseur du roman noir ou du drame psychologique ?
Tous les agneaux qui gravitent autour de Heathcliff sont les autres. Ces autres qui l'ont poussé à devenir ce qu'il est, ce qui n'est pas pour autant légitime de le victimiser. Catherine Earnshaw, qui l'aime passionnément, ne peut se rabaisser à l'épouser vu sa condition sociale et préfère donc vivre sa vie auprès de la famille aristocratique Linton. Encore un coup de poignard dans le coeur de Heathcliff. Sa vengeance n'a aucune limite temporelle. Elle est si démesurément grande, si intense de pouvoir qu'il n'en étanchera sa soif que lorsqu'il sera parvenu à ses fins, maudissant toutes les générations futures et troquant ainsi son âme au diable. Ce qui choque, ce n'est pas tant les actes condamnables de Heathcliff, mais la volonté de l'écrivain d'avoir eu sur près de 400 pages à instaurer une ambiance qui pèse et qui gène. Notre empathie est mise à rude épreuve quand il s'agit de ressentir le malheur de Catherine Earnshaw face au dilemme qui lui a rongé toute son existence ; le malheur de Hindley d'avoir perdu sa femme en accouchant ; le malheur d'Edgar d'être un témoin impuissant quand il réalise que sa fille souhaite renouer le lien familial en donnant de sa compagnie à son cousin Linton, soit le fils de Heathcliff ; le malheur de Linton Heathcliff qui est malade et qui souffre de voir se décomposer sa moralité... Une multitude de malheurs qui rend une lecture difficile, qui n'abrège aucun détour, et qui a ce besoin indispensable d'être suivi avec concentration pour ne pas perdre le fil.
En cela, Les Hauts de Hurle-Vent n'est clairement pas un conte de fées. La noirceur des lieux, du ciel, des personnages font malgré tout du roman un hymne à l'optimisme. Car tout ce qui est raconté fait prendre conscience au lecteur du don qui nous habite tous : celui de croire qu'il existe dans l'homme ce qu'il a de plus bon et de généreux en lui. Mais qu'ici, l'homme peut se révéler naturellement mauvais, naturellement envieux, jaloux et naturellement destructeur. Ce qui est un contrepoint aux idées de Rousseau quand on voit que le cadre se passe dans les landes du Yorkshire, en pleine campagne, et non dans le tumulte incessant de la ville!
A mon sens, le livre est inadaptable au cinéma sur bien des points. Tout d'abord parce qu'il arbore vigoureusement les sentiers de l'âme humaine, de ses possibles perditions et qu'on ne peut pas mettre sur pellicule des sentiments que l'on ne peut ressentir que par écrit. Ensuite, parce que chacun se construit son propre Hurle-Vent, cette demeure lugubre et maudite, sans verdure et dénuée de toute vie (il est d'ailleurs intéressant de constater la situation géographique de celle-ci, qui trône sur les collines comme l'olympe des Dieux, pointant et jugeant du doigt les actes de l'homme. Ou dans le cas contraire, comme la maison du diable incarnée par Heathcliff, gardée par le chien cerbère à trois têtes Linton-Joseph-Hareton et le styx qui sépare Hurle-Vent de la Grange). Et puis, tout simplement parce que Monsieur Lockwood, c'est nous. Nous sommes le spectateur dès lors que le rideau rouge se lève, nous sommes l'hôte de Mrs. Dean. Le roman est donc très intime car nous sommes les témoins privilégiés d'une histoire de famille qui a tourné au désastre.
Pour conclure, les Hauts de Hurle-Vent est un roman extrême dans la violence des sentiments, la difficulté de s'épanouir et de croire au bonheur. Emily Brontë a signé là son seul roman hélas mais qui ne fait ainsi que renforcer sa légendaire écriture et son aptitude peu commune à avoir créer une pléthore de personnages cultes. Certes, on suffoque pendant tout le long de notre lecture ; mais notre esprit n'en ressort que plus aéré aux toutes dernière lignes, comme si nous sentions enfin le vent de Hurle-Vent caresser et balayer notre âme et conscience.

vendredi 7 août 2009

Fort comme la mort de Maupassant - critique -

C'est l'histoire du peintre Olivier Bertin qui projette son obsession du déclin, qui tente de se libérer de l'angoisse qui saisit tout créateur lorsque s'approche l'heure du bilan ; l'histoire d'un homme qui retrouve la jeunesse perdue de sa maîtresse dans la fille de cette dernière. C'est une peinture qui analyse les mécanismes et les rites de ce monde du faux-semblant, de l'ennui et de la stérilité du coeur que l'on appelle le grand monde.
Fort comme la mort est le cinquième roman de Guy de Maupassant publié en 1889. Il est un roman qui analyse les affres de l'amour, les blessures du coeur, ce besoin de l'homme d'aimer et d'être aimé dans ce qu'il y a de plus pessimiste et irréversible. Chaque page dépeint une souffrance, celle qu'on exprime en solitaire et qui gangrène notre âme en silence. Celle qui est indicible, ineffable, qui attaque notre conscience comme des coups de marteaux et qui ainsi nous plonge irrémédiablement dans la tourmente avec un aller simple. Olivier Bertin et Mme de Guilleroy incarnent les deux amants de cette histoire. Leur relation, qui ne peut-être concrétiser dans une époque régie par des conventions et qui n'accepte nullement l'adultère, est platonique : il est basé sur le souffle d'une respiration, du regard intense via des "gouttes d'encre dans les yeux", de l'effleurement de mains, d'une ambiance de peintre qui épouse sexuellement celle d'une aristocrate... Les mots choisis, les phrases construites, les sentiments que l'on éprouve à la lecture des lignes paraissent si réels qu'ils relèveraient du vécu de l'auteur. Les déchirements que peut provoquer l'amour et cet afflux sanguin perpétuel permettant à l'homme de passer du stade de celui qui contrôle ses émotions à celui qui en devient soumis tendent à démontrer l'esclavage de l'homme par ses propres passions. Le point de vue omniscient adopté par Maupassant permet comme toujours de rentrer dans l'intime, prenant connaissance de toutes les pensées qui traversent les personnages pour mieux les distinguer et alimenter notre empathie à leurs égards. Les thèmes de la solitude et du vieillissement peuvent se voir commes les propres peurs de l'écrivain, qui tentent sans doute par tous les moyens de les exorciser pour mieux s'en déposséder. Il n'est pas anodin que le roman fut publié trois ans avant son internement dans un hôpital psychiatrique à Paris. La folie le gagnait petit à petit, et ironie du sort, cela donne encore plus de pathos et d'émotion à l'histoire. C'est pourquoi il faut pouvoir prendre du recul avec sa narration car les litanies d'Olivier et Mme de Guilleroy bouleversent littéralement. Rien que la scène finale donne le frisson dans ce grand désespoir, dans ce néant qui gagne les coeurs rongés jusqu'à un noir ténébreux, où l'on se morfond devant la cruauté des destins et cette folie qui nous éventre l'esprit face à l'adversité. Mme de Guilleroy se consume symboliquement devant cette cheminée qui embrase les lettres de son amant qu'elle a jeté à sa demande, laissant ainsi paraître des gouttes de sang qui "semblaient sortir du coeur même des lettres comme d'une blessure". Maupassant a le chic pour malmener ses personnages. A croire qu'il n'y a qu'en plongeant tout droit dans le fatalisme qu'on en tire des leçons sur nous-même. Olivier qui a toujours aimé Mme de Guilleroy, cocufiant sans doute son mari, voit en la fille de la comtesse celle qu'elle fut dans sa jeunesse. Ce trouble de voir côte à côte sa maîtresse de longue date en pleine automne de l'âge avec sa fille Annette dans le printemps de la vie sème la discorde dans son coeur. D'un côté, il voit cette femme mûre, qui vieillit comme tout le monde, et de l'autre, il la voit telle qu'il l'a connu à ses débuts. Ce dédoublement de chair lui fait naître à son insu des sentiments qu'il ne voyait pas arriver et dont il fera hélas les frais dans la seconde partie du roman. D'ailleurs, on peut voir dans la ressemblance des prénoms de la mère et de sa fille, Anne et Annette, la réincarnation de l'une (obsédée à l'idée de vieillir et de ne plus plaire dans une société mondaine où les apparences sont maîtres avant tout) dans le corps de l'autre, comme pour prolonger sous une nouvelle identité son amour envers Olivier.
Fort comme la mort privilégie donc avant tout la description des sentiments au détriment des dialogues et des éléments perturbateurs qui font l'apanage des romans d'action. Le rythme est lent, douloureux et très pesant mais c'est ce côté mélodramatique qui fait son charme. Cette peinture (au sens propre comme au figuré !) de cet amour qui ne peut être réciproque en découle une détresse morale qui aboutira à l'anéantissement du héros. Réussir à survivre en ne répondant pas à l'appel de son coeur peut sembler impossible à faire. Toutefois, la seule note positive du roman peut résider dans son titre. En effet, si Maupassant avait vraiment voulu être pessimiste en écrasant l'homme du poids de toute sa mort, il aurait mis une majuscule au nom commun. Or, c'est ici le mot "Fort" qui trône devant son adversaire. A condition de ne pas être servile de ses passions mais d'être maître dans ses choix.

mardi 4 août 2009

La Vierge en bleu de Tracy Chevalier - critique -

Récemment arrivée des Etats-Unis avec son mari, Ella Turner a du mal à trouver sa place dans cette bourgade de province du sud-ouest de la France. S'y sentant seule et indésirable, elle entreprend des recherches sur ses ancêtres protestants qui eurent à fuir les persécutions pendant les guerres de religion au XVIe siècle. Elle est alors loin d'imaginer que cette quête va bouleverser sa vie.
La Vierge en bleu est le premier roman de Tracy Chevalier. Et cela se ressent car son style, qui s'est amélioré de roman en roman, alourdit ici ses phrases si bien qu'on a du mal à se mettre dans le bain. Pour commencer, le fait d'avoir choisi les guerres de religion comme arrière-plan à l'intrigue est un exercice assez périlleux (surtout du point de vue d'une étrangère). Cette période de l'Histoire de France, qui donne bien assez de fil à retordre aux historiens même, oppose ici les calvinistes avec les catholiques. Cela se révèle au final inutile car trop superficiel sur son fond, et surtout bien trop manichéen : le protestantisme apparaît comme une secte (le mari violent et la belle-mère enfermée dans son silence) et le catholicisme comme une religion victimisée (Isabelle qui se fait battre presque comme une martyr, qui est montrée du doigt comme une sorcière et qui est indésirée en raison de ses convictions).
Ce qui pose également problème, c'est le choix involontaire de Chevalier d'avoir voulu tromper son monde en présentant à ses lecteurs la France du XXIe siècle comme chauviniste à mort. Nous, français, ne sommes pas dupes, et voyons dans cette image qu'elle propose une caricature épouvantable qui s'infiltre dans chaque chapitre mettant en scène Ella. Sa difficulté à s'intégrer dans ce village du sud-ouest, à se faire bien voir par les autres, redoublant d'effort pour parler la langue... Bref, le village repousse forcément les étrangers, les regarde forcément du coin de l'oeil, parle forcément dans leur dos : la lecture devient vite agaçante et indigeste (surtout à côté d'une Suisse lumineuse avec des habitants accueillants). Ce qui est fort dommage car on sent nettement l'évolution psychologique et intérieur d'Ella dans sa quête de découvrir son arbre généalogique et la raison de ses inquiétants cauchemars. Chevalier a d'ailleurs davantage concentré son attention sur Ella au détriment d'Isabelle, dite La Rousse, provoquant un déséquilibre entre les chapitres alternant les deux époques. Le parcours d'Ella s'inscrit dans la longueur faisant succéder les jours et les semaines tandis que celui d'Isabelle représente plus un moment-clé de sa vie.
La Vierge en bleu n'est pas un mauvais roman, loin de là. Mais il n'est certainement pas non plus le meilleur de Tracy Chevalier. On sent le brouillon pour ses prochaines péripéties, ses appuis, ses marques. L'histoire est attachante avec une fin spectaculaire et parfaitement écrite et retranscrite ; mais qui ne rattrape malheureusement pas les quelques 300 autres pages. L'accumulation de clichés et ce manque de peps aux aventures de l'héroïne alourdissent considérablement les pages, sans pour autant ôter aux lecteurs son envie de découvrir les intrigues et le fin mot de l'histoire. Ce qui en soit n'est déjà pas si mal !