lundi 31 août 2009

Notre coeur de Maupassant - critique -

Dans le Paris de la fin du XIXe siècle, André Mariolle, un aristocrate qui gagne sa vie sans travailler, fait la rencontre de Madame de Burne, une bourgeoise. D'abord insensible à ses charmes, il se prendra d'amour pour elle, d'un amour barbare qui le consumera petit à petit.
Voilà que s'achève en cette fin d'été 2009 le marathon Maupassant avec Notre coeur, son sixième et ultime ouvrage. Notre coeur, ou son testament pour ainsi dire, où Maupassant décrit pour la dernière fois la Haute société mondaine parisienne avec une fois de plus une analyse psychologique des plus tortueuses. Maupassant souffrait à cette époque de la syphilis et d'une forme de paranoïa aiguë, les antécédents familiaux n'arrangeant rien à l'affaire (une mère dépressive et un frère mort fou). Son état mental se dégrade et après une tentative de suicide, il sera enfermé dans une clinique dans le quartier de Passy à Paris en 1892. Notre coeur peut donc apparaître comme le roman d'un illuminé pour qui la folie le rongeait chaque jour de plus en plus. Mais là où la qualité d'écriture aurait pu être grandement altérée, force est d'admettre qu'elle se révèle être tout le contraire. J'irai même plus loin en affirmant que sans sa dépression, l'ouvrage n'aurait pas conservé autant de sa verve. Notre coeur forme ainsi avec Fort comme la mort un diptyque déguisé en une déclaration abusée sur l'amour, ce sentiment qui nuit à l'Homme et qui le voue à la solitude.
Avec Notre coeur, pour la première fois, c'est la femme qui a le pouvoir, associée ici à une constante faiblesse. Maupassant apparaît alors en total misogyne qui critique la femme comme un monstre qui use de ses charmes pour mieux faire tomber les hommes et qui "dompte les amoureux comme le chasseur poursuit le gibier". Cette femme, c'est Madame de Burne (le côté satirique du nom est bien mis en avant). Elle est "fière de son charme", "amoureuse de sa beauté irrégulière", "sûre de la finesse de sa pensée"... En d'autres termes : narcissique et prétentieuse. Il l'a dépeint au début comme un ange de grâce pour ensuite la révéler comme une mante religieuse de disgrâce. Sous prétexte qu'elle aurait vécu un premier mariage complètement raté (un mari violent et odieux), elle adopte désormais une vie plus libre, presque volage, jouant ainsi des hommes aux besoins de son quotidien, nécessitant de sa petite cour de prétendants pour se sentir bien être. En bref, Madame de Burne incarne une Emma Bovary des temps modernes (ultime hommage de l'auteur à son ami Flaubert) chassant-croisant ses relations amoureuses et se parfumant comme une cocotte.
La victime se nomme André Mariolle, pour qui la séduction théâtrale de Madame de Burne lui fut au départ indifférent. Puis, c'est l'amour sauvage. Comme Jeanne avec Julien, Christiane avec Paul, Anne avec Olivier, Madame de Marelle avec Georges, l'amour est une odieuse tromperie qui émeut au début, s'effrite au milieu, et se dégrade vers la fin, pour n'en plus rien rester. Le livre lui-même est une gradation en même temps qu'une descente aux enfers d'André. Son amour est partagé puis sonne l'heure des retardements aux rendez-vous puis au final, l'amour devient à sens unique. C'est un fait pour Maupassant : "L'amour ne devient plus qu'une légende, faite pour être chantée en vers ou contée en des romans trompeurs".
Car Notre coeur est avant tout aussi un adieu aux femmes de sa vie, dont il a été victime, dont il n'a sans doute jamais compris ou saisi leurs véritables essences, qui l'ont tourmenté, qui ont sans doute été en partie responsables de sa maladie et qui sont "toutes des ratées, des délicieuses ratées". Car Madame de Burne est somme toute bien cruelle face à son amant. Elle le charme pour mieux se faire-valoir, puis se sert de lui comme on se sert d'une fourchette pour manger, puis le laisse tomber. Enfin, elle le repêche pour se prouver à elle-même qu'elle peut être indispensable dans son coeur. Maupassant est donc très inquiet et extrêmement pessimiste quant au dénouement heureux d'un amour mutuel, et n'est pas le partisan hagard qui croit en la tendresse infinie entre l'homme et la femme. Ils constituent deux sexes qui s'emboîtent anatomiquement, certes, mais qui resteront à tout jamais pour lui deux êtres totalement différents qui ne se comprendront jamais vraiment. Le dénouement d'ailleurs n'aboutit à aucune fin concrète, laissant le dramatique prendre le pas, et le schéma se répétant inlassablement, André devient à son tour Madame de Burne.
Néanmoins, et c'est ce qui fait toute l'oeuvre unique de Maupassant, son grand génie à avoir su si bien dire les choses avec les mots qu'il fallait, on ne peut s'empêcher de garder une note d'espoir à chacune de ses fins de roman. Un espoir, caché, enfoui au plus profond de nous, qui refuse de se déclarer perdant, de s'adonner à ce pessimisme, et qui donne envie d'en tirer des leçons sans avoir connu au préalable son expérience à lui. Maupassant est finalement un homme qui a très bien compris son époque, et qui en a été tellement la victime qu'il en est tout simplement mort. Mort de dégoût envers cette société aristocratique arriviste qui vit dans le paraître (il fait tomber les barrières sociales entre André et Elisabeth sur fond de tableau Watteaunien), mort de lassitude pour avoir aimer des femmes qui n'ont su donner que leurs corps, et mort peut-être pour s'être trompé d'époque.
Assurément, Maupassant constitue l'un des plus talentueux et fantastiques écrivains du XIXe siècle, dont la langue française, si riche, si vivante et si infiniment poétique, n'avait plus de secret pour lui.

1 commentaire:

Jagi a dit…

Bravo et bonne continuation.

Thierry