mercredi 20 janvier 2010

Agora - critique -

IVème après Jésus-Christ. Alexandrie est sous la domination des romains. Hypatie, une brillante astronome, tente de préserver, malgré la menace des chrétiens qui se profile, les connaissances accumulées au fil des siècles dans la bibliothèque de l'atrium. Les guerres de religion émergent petit à petit, et les disciples d'Hypatie sont indécis quant au camp à choisir. Surtout que les chrétiens deviennent de plus en plus violents pour imposer leur foi...
Le nouveau film de Amenabar a de quoi susciter de nombreuses interrogations lors de la projection. En effet, il se pourrait que de nombreux spectateurs ne parviennent pas ou peu à saisir l'intérêt que le réalisateur a eu d'avoir inclus l'astrologie avec les guerres qui ont fait rage à cette époque. La suprématie imminente du christianisme est ici démontrée avec la crudité qu'il fallait pour éviter de plonger le film dans un bain de sang. Certes, certaines scènes sont d'une violence inouïe mais Amenabar n'attarde jamais sa caméra dans la complaisance de détails sordides. La vraie force avec laquelle le cinéaste s'est empruntée, c'est l'adoption du point de vue philosophique face à ces phénomènes. L'idée est de montrer que la situation telle qu'elle fut il y a dix-sept siècles est exactement la même que celle d'aujourd'hui : toujours ces politiciens véreux, ces illuminés pseudo-religieux qui se disent guidés par les voies impénétrables de leur seigneur, pour mieux imposer à son peuple ses exigences. L'intolérance, la haine, la barbarie dont l'homme peut être capable... tout cela est suggéré explicitement (des plans audacieux sur ces milliers d'hommes, tels des fourmis que l'on veut écraser, qui détruisent tout sur leur passage) et implicitement (la volonté inébranlable d'Hypatie pour comprendre le fonctionnement de l'univers).
Rachel Weisz est donc on ne peut plus crédible dans ce rôle de femme forte, au milieu de ces fauves misogynes. En essayant de véhiculer l'idée selon laquelle qu'importe la religion, nous sommes tous des frères via la pensée universelle, Amenabar fait grincer des dents. Car le postulat, simpliste et quelque peu radoteur, aurait pu grandement gagner en maturité dans le film, au lieu de s'embourber dans des scènes inutilement trop longues. Le film traîne en longueur, et malgré des plans audacieux (des vues aériennes d'une maîtrise totale / une image inclinée à 180° pour mieux se rendre compte de l'absurdité ahurissante du comportement humain), Amenabar n'arrive pas toujours à recentrer son sujet de manière centripète. Par exemple, les afflux amoureux de Davus et Oreste vis à vis d'Hypatie sont très maladroitement mis en scène, et les acteurs incarnant ces roucouleurs ne parviennent pas toujours à nous convaincre (cf. Davus et son jeu monolithique). Agora constitue donc un bon péplum en ce qu'il a d'innovant de privilégier la métaphysique sur le grand spectacle. Le travail lissé d'Amenabar est d'autant plus méritant qu'il touche à chaque fois tous les genres cinématographiques. Mais avec quelques raccourcis ou une meilleure huile de coude, le cinéaste aurait pu ici faire d'Agora un film qui frappe très fort. Karl Marx disait que "La religion est l'opium du peuple". Ici, même si la citation devient anachronique, on en a la parfaite illustration : l'homme, obligé de croire en quelqu'un d'autre que lui même, qui se meurt à tuer les autres qui ne rentre pas dans ses idéaux... D'ailleurs, Amenabar, lors d'une interview, affirmait que si les chrétiens n'avaient pas détruit la bibliothèque d'Alexandrie et tous les précieux documents qu'elle renfermait, nous saurions sans doute aujourd'hui comment voyager de planète en planète. Alors la Religion, un frein au développement de la Culture ?

mardi 19 janvier 2010

Bel-Ami de Maupassant - critique -

Georges Duroi est un jeune homme inscrit dans les canons de son époque : élégant, prestant... il attire sans mal les femmes autour de lui. Au hasard d'une rencontre dans le quartier de la Madeleine à Paris, Georges se retrouve nez à nez avec l'un de ses amis d'autrefois. Là commence alors son ascension dans la vie professionnelle. Georges va prendre goût à manipuler les autres pour parvenir à ses fins et arriver ainsi au sommet. Voilà l'histoire de ce Bel-Ami, sur fond de capitalisme et d'un Paris en pleine expansion coloniale.
Après le succès fulgurant d' Une vie, publiée en 1883, Guy de Maupassant se replonge dans le roman. Qui dit roman dit donc histoire. Mais avec Maupassant, la fiction n'en ai jamais véritablement. Plus qu'une simple oeuvre racontant les déboires d'un homme détestable, Bel-Ami est avant tout une plongée réaliste dans le milieu journalistique, politique et financier du XIXe siècle. Cela aurait pu constituer une belle entrave quant à l'immersion à proprement dite dans la narration, mais Maupassant n'oublie jamais que son public est avant tout constitué de gens hétéroclites et que parti de ce point de vue là, les codes et les ficelles de son écriture doivent se faire le moins opaque possible. Avec Bel-Ami, inutile donc de se documenter longuement sur le contexte (quoiqu'il aiderait surement davantage pour comprendre au mieux la société parisienne de cette époque). Pour dénoncer ce prisme infernal où chacun mord l'autre, se disputant sans arrêt le meilleur scoop, Maupassant invente pour cela un personnage, Georges Duroi, et c'est à travers lui que toutes les fissures et les bancalités de son époque vont apparaître à la surface. Au départ, Georges Duroi apparaît un peu comme le rural innocent, étonnamment surpris par le rythme de la vie mondaine, et veut croire en ses capacités de se faire l'avocat du diable. Puis petit à petit, Duroi écrase toutes ses convictions et n'hésitera pas un seul instant à se servir de son entourage pour grimper dans l'échelle sociale. Son nom est d'ailleurs évocateur, comme si Maupassant prévenait son lecteur de la victoire de celui-ci, Duroi ou "le roi". Le lien entre le caractère humain et divin combiné dans un seul homme atteint une étrange proximité. Duroi profite de son pouvoir de séduction pour appâter les femmes et les manipuler à sa guise. Crapule de première catégorie, Duroi dégoûte le lecteur de par ces agissements immoraux. Mais paradoxalement, derrière tout cet opportunisme exacerbé, le lecteur lui vouera un total respect, d'avoir par exemple si bien su comprendre comment fonctionnait les rouages et les mécanismes de son temps.
Une vie possédait un rythme lancinant, lent, qui épousait parfaitement la personnalité de son héroïne Jeanne. Avec Bel-Ami, changement radical de décor : Maupassant enchaîne volontairement les séquences, les soirées mondaines, et chaque évènement se répercute sur le suivant comme un effet domino. L'écriture de l'auteur accomplit une fois de plus des merveilles. Le sentiment profond d'haïr ce personnage arriviste ne se fait pas du tout attendre. La femme est ici un pion, tendance sadomasochiste, qui en redemande. Les Walter comprennent bien trop tard les intentions véritables de Georges (une peuplade constituée d'oeillères ?) et en paieront le prix fort pour ce débordement de naïveté insupportable : Madeleine la mère, qui dilapide sa fortune pour satisfaire les attentes de son amant, finira seule à pleurer dans une église ; et sa fille Suzanne exécutera un mariage raté d'avance. La femme apparaît donc comme une créature influençable, déconcertante d'optimisme là où il n'y a plus à espérer. Maupassant se veut sévère mais c'est pour mieux juger avec entrain les comportements odieux des hommes, qui se servait impunément de l'intelligence et la finesse du beau sexe. Certaines analyses parlaient même du caractère quelque peu androgyne de Duroi, un "homme-femme" qui n'a aucun mal à changer d'apparence, que ce soit pour montrer ses crocs devant les requins du journalisme ou pour libérer la fine fleur de sa sensibilité devant les femmes.
Pour approfondir et saisir au mieux tous les codes de ce roman, je vous invite à vous tourner au profil de cet ouvrage, qui constitua il y a quelques temps une oeuvre phare dans l'enseignement secondaire. Je dirais juste que Bel-Ami est une pièce maîtresse dans la bibliographie de Maupassant, et un chef d'oeuvre d'intelligence où l'écriture devient parfum de sentiments. On a la très nette sensation que ce Paris du XIXe siècle, celui à la fois des affaires et des mondanités, vibre au gré des pages. On imagine fort bien toutes ces garçonnières vaudevilliennes, ces rues habitées par les hommes en haut de forme ou chapeaux de canotiers, ces femmes avec leurs ombrelles, ravissantes dans leurs corsets dentelés... Ces soirées de bourgeois où chacun se pavane, entre deux verres de vin... La magie Maupassant, c'est aussi cela : son aptitude reconnue pour ses descriptions magiques, sa narration intemporelle et son incroyable capacité de maître-écrivain à faire ressentir des émotions.

lundi 11 janvier 2010

Bliss - critique -

Bliss Calendar a 17 ans et s'ennuie ferme dans sa petite vie de lycéenne. Entre une mère qui l'inscrit presque de force à des concours de beauté et un job dans un fast food beauf et miteux qui ne l'épanouit en rien, Bliss ne rêve que d'une seule chose : s'entraîner au derby roller ! Elle se rend pour cela avec son amie Pash dans la ville d'Austin pour juger sur place de l'intérêt qu'elle voue à ce sport brutal. C'est alors le coup de foudre. Bliss commence à mener une double vie...
Cinéma d'auteur un jour, cinéma d'auteur toujours. Comme l'on s'y attend avant même d'avoir poser une seule fesse sur le siège du cinéma, Bliss est à voir comme une petite comédie rafraîchissante, bien loin des canons cul-cul d'Hollywood ou bien des romances dégoulinantes d'eau de rose. Pour son premier long métrage, Drew Barrymore s'en sort haut la main. Enchaînant des plans propres et soignés et des seconds rôles tous en importance, Bliss est un bon petit sédatif, euphorisant comme il faut, sur fond de punk rock à la girls qui se fightent sévère dans des courses effrénées au roller. Dans Bliss, ça cogne, ça croche-patte, ça castagne, ça coup-de-boule (ou presque). La gente masculine n'a qu'à bien se tenir ! Et qu'importe la légère immaturité dans laquelle semble s'être plongée Barrymore, son film en ressort comme un bon délire de jeunes, avec ses messages et ses leçons (ne pas s'engager trop vite dans une relation, croire en ses idéaux, savoir pardonner...). On en ressort tout sourire, des lèvres jusqu'aux oreilles, et avec la patate !
Mais Bliss repose essentiellement sur le charme naturel et déroutant de son interprète principal : Ellen Page, ou Barbie Destroy ! Spontanée, lumineuse, pleine de douceur et de volonté, Ellen Page fait partie de ces très rares acteurs à adopter sans mal ce que l'on appelle des micro-mimiques : des expressions faciales, sortes de signes non-verbaux très faibles, presque subliminaux qui entrent en relation directe avec le mental du spectateur. Tour à tour désarmée, puis combative, le personnage de Bliss se transforme et affronte ses problèmes. Et à l'instar d'un certain Little Miss Sunshine, Barrymore a eu l'intelligence de ne pas verser le dénouement de son intrigue dans le tout est bien qui finit bien. Au final, que de légèreté menée bon train dans cette comédie ensoleillée. Même si le scénario manque de consistance, il faut parfois aller au-delà et apprécier comme il se doit ces films qui se fichent royalement de la bonne et sainte convention. Le passage derrière la caméra est donc réussi, conférant à Drew Barrymore un début plus que prometteur sur grand écran.

jeudi 7 janvier 2010

Bright star - critique -

Londres en 1818, John Keats, poète sur le devenir et sans le sou, est le voisin de Fanny Brawne, une femme mondaine et cultivée qui aime briller en société. Celle-ci, constatant l'état inquiétant du frère de John, décide de l'épauler dans cette rude épreuve. Puis, contre toute attente, l'attitude de ces deux personnages, au départ plutôt froide, se transforme en une véritable relation platonique et romantique dont l'intensité est si forte qu'ils tombent fous amoureux l'un de l'autre. Mais à son tour, John tombe aussi malade, remettant ainsi tout en cause...
Jane Campion se fait rare sur le grand écran. L'ombre de la palme d'or qu'elle avait décroché en 1993 avec La leçon de piano et qui lui donna le titre de première réalisatrice femme à l'obtenir depuis l'histoire du festival plane indubitablement autour de ce Bright Star, mettant en vedette Abbie Cornish et Ben Whishaw, tout frais sorti de la très bonne adaptation du chef d'oeuvre de Patrick Suskind Le Parfum. Partir du XVIIIe siècle français pour atterrir dans le XIXe siècle anglais ne semble donc pas être une gageure insurmontable pour l'acteur. Son jeu, quoique délicat et tout en retenu, n'a pourtant rien de très opaque. Ainsi, on a bien du mal à s'accrocher à ses minauderies, même dans les scènes les plus déchirantes. Non, le film repose surtout et entièrement sur la prestation éblouissante d' Abbie Cornish. La bright star, au sens propre et figuré, c'est bien elle. Sa pudeur , sa fièvre et sa frénésie relèvent d'une telle force qu'elles nous tirent les larmes sans aucun effort.
Pour son dernier film, Jane Campion a voulu nous raconter une période de la vie du poète John Keats. Rectification, du très méconnu John Keats. Car sa vie, et le film fait en cela très bien passer le message, commence et finit au même point : celui du poète d'avoir vécu dans le presque anonymat. Et qui pourtant oserait dire qu'il n'a jamais entendu ce très célèbre vers : "Brillante étoile ! Que ne suis-je comme toi immuable, Non seul dans la splendeur tout en haut de la nuit" ? Keats est donc un vrai fantôme et Bright Star s'accorde à nous intimider à lui. Disons le clairement, la première partie du film fait bâiller aux corneilles. La narration est froide et Campion nous donne l'impression d'être impassible, ou pire, d'être un peu trop réservée pour les émoluments sentimentales de ses personnages. La présence trop discrète de la musique désemboîte complètement la succession des scènes. Puis Campion change de main. Dès lors que l'idylle se construit, la réalisatrice enchaîne avec une grande complaisance les tableaux style millaisiens. La lumière est superbe, les paysages champêtres rayonnent de toutes leurs couleurs, et le spectateur ne fait plus qu'un avec la Nature, éternelle consolatrice des tourments du coeur. Il est l'occasion pour Campion de déballer toutes les tenues de l'époque, que l'héroïne ne manque jamais de rêvetir pour sursensationnaliser la mise en situation et contextuelle de ce siècle. Campion ose porter la poésie dans sa vérité la plus nue, le romantisme dans sa vertu la plus touchante, et bien sur, l'amour, porté ici dans son éclatante tragédie ("Pourquoi sommes nous crées si nous devons sans cesse souffrir ?" Fanny). Scandé par les plus beaux vers de Keats, le film réussit dans sa dernière demie heure à nous faire ressentir une violente peine pour ces personnages concassés par l'injustice dont ils sont victimes. Le sentiment amoureux, qui pourtant passe à la moulinette, devient communicatif et confère un statut magique au long métrage.
Au final, malgré un début pénible, fade et difficile, Bright Star apporte ce que le spectateur était en droit d'attendre : une vague romantique où le corps et l'esprit ne font plus qu'un, où le sentiment platonique n'a rien de ringard et où la chasteté des attitudes amoureuses se révèlent belle à en pleurer. Jane Campion réussit son retour, manifestement, et on lui remercie de conserver un cinéma aussi pur qu'est le le sien, basé sur un simple regard ou un simple effleurement de mains.