Eté 1963, Wyoming.Deux jeunes cow-boys, Jack et Ennis, sont engagés pour garder ensemble un troupeau de moutons à Brokeback Mountain. Isolés au milieu d'une nature sauvage, leur complicité se transforme lentement en une attirance aussi irrésistible qu'inattendue. A la fin de la saison de transhumance, les deux hommes doivent se séparer.
Le film que nous propose Ang Lee (l'un des rares réalisateurs à construire toute une myriade de films au genre différent) est un film d'exception. L'homosexualité qui s'impose dans le film et à ses protagonistes n'a rien d'évidente. Ennis par exemple est déjà fiancé et son avenir au sein de sa future-femme est tout tracé. Les zones d'ombre concernant Jack sont en revanche plus nombreuses. Qui nous dit qu'il ne s'est pas marié sachant son amant en concubinage ? Jack reste quelqu'un de solitaire, d'énigmatique et Ang Lee a su peindre deux personnages bouleversants et bouleversés. L'un est prêt à assumer son choix d'être homosexuel et vivre une vie remplie de bonheur où l'amour a été trouvé et où le sentiment devient comblé. L'autre a bien du mal a vivre avec son attirance dans une société conservatrice pour qui aimer une personne du même sexe est un crime qu'il faut condamner, une tare qu'il faut guérir. Ang Lee est tout simplement brillant et a, ô ciel, su éviter les vilains clichés que se fabrique la majorité des gens qui ignore tout de l'homosexualité. Ici, le gay n'a rien d'une folle maniérée et expressive. Ennis et Jack constituent deux personnes comme tout le monde ; malheureusement deux personnes qui coexistent dans un monde où l'on doit refouler ce type de pulsions entraînant par la même un désarçonnage de l'âme au plus profond et confinant ce sentiment au plus sublime comme au plus brutal. On est écrasé devant tant de complications. Ainsi, Ang Lee porte merveilleusement bien ces moments dans leur plus grande intensité : l'absence de l'être aimé devient insupportable, la caresse d'un vêtement porté devient lancinante, l'étreinte d'un baiser devient un éden... On applaudira sans relâche ce tact énorme qu'a pris Ang Lee pour peindre la détresse de deux hommes qui font face à des sentiments inconnus qui n'ont rien d'évidents car inexplicables.
Le paysage, sûrement pas anodin, est le berceau de cette naissance amoureuse : des plaines vierges de toute humanité, creusées par des montagnes élégantes et la pureté de ses rivières. Élégant comme le sont nos deux cow-boys, et pure comme l'est leur relation. Le paysage devient l'expression figurée de leur amour comme si la Nature leur avait appellé à s'aimer à l'état sauvage (Ennis fut pour le moins radical lors du premier ébat). La confrontation presque animale et brute d'Ennis se marie harmonieusement bien avec la fragile et douce candicité de Jack. Ang Lee évite ainsi le mélo pompeux et on lui en sera toujours reconnaissant. De plus, on aura rarement entendu une aussi belle composition musicale pour un film de ce genre tellement chaque note vient se fondre dans ces paysages bucoliques et traduisent le chaos intérieur de nos personnages torturés par leur remord. Les compositions de Heath Ledger et de Jake Gyllenhall sont au sommet et impose une belle leçon de cinéma. Contrepoint dans leur image de marque, ces deux beaux mâles gardent leur virilité tout en jouant deux homosexuels. Preuve qu'Ang Lee fait parti d'un des rares a avoir su éviter des écueils grotesques.
Dans une dizaine d'années, Le secret de Brokeback Mountain ne restera plus secret pour personne. Car il aura su, par son extrême intelligence et sa sobriété royale, être connu par tous ceux qui auront enfin compris que l'amour, qu'il soit entre personnes de sexe opposés ou de même sexe, reste l'amour. Et que si celui ci n'est pas pleinement vécu à cause de facteurs sociaux, c'est que l'Homme ne se rend toujours pas compte de vivre dans un bas monde, à l'ouest et pathétique. Brokeback mountain, c'est un film d'amour, le vrai, à la fois sans vulgarité et sans fioritures qui dépassent l'entendement dans ce qu'il a de plus inavouable et de plus tragique.
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