vendredi 7 août 2009

Fort comme la mort de Maupassant - critique -

C'est l'histoire du peintre Olivier Bertin qui projette son obsession du déclin, qui tente de se libérer de l'angoisse qui saisit tout créateur lorsque s'approche l'heure du bilan ; l'histoire d'un homme qui retrouve la jeunesse perdue de sa maîtresse dans la fille de cette dernière. C'est une peinture qui analyse les mécanismes et les rites de ce monde du faux-semblant, de l'ennui et de la stérilité du coeur que l'on appelle le grand monde.
Fort comme la mort est le cinquième roman de Guy de Maupassant publié en 1889. Il est un roman qui analyse les affres de l'amour, les blessures du coeur, ce besoin de l'homme d'aimer et d'être aimé dans ce qu'il y a de plus pessimiste et irréversible. Chaque page dépeint une souffrance, celle qu'on exprime en solitaire et qui gangrène notre âme en silence. Celle qui est indicible, ineffable, qui attaque notre conscience comme des coups de marteaux et qui ainsi nous plonge irrémédiablement dans la tourmente avec un aller simple. Olivier Bertin et Mme de Guilleroy incarnent les deux amants de cette histoire. Leur relation, qui ne peut-être concrétiser dans une époque régie par des conventions et qui n'accepte nullement l'adultère, est platonique : il est basé sur le souffle d'une respiration, du regard intense via des "gouttes d'encre dans les yeux", de l'effleurement de mains, d'une ambiance de peintre qui épouse sexuellement celle d'une aristocrate... Les mots choisis, les phrases construites, les sentiments que l'on éprouve à la lecture des lignes paraissent si réels qu'ils relèveraient du vécu de l'auteur. Les déchirements que peut provoquer l'amour et cet afflux sanguin perpétuel permettant à l'homme de passer du stade de celui qui contrôle ses émotions à celui qui en devient soumis tendent à démontrer l'esclavage de l'homme par ses propres passions. Le point de vue omniscient adopté par Maupassant permet comme toujours de rentrer dans l'intime, prenant connaissance de toutes les pensées qui traversent les personnages pour mieux les distinguer et alimenter notre empathie à leurs égards. Les thèmes de la solitude et du vieillissement peuvent se voir commes les propres peurs de l'écrivain, qui tentent sans doute par tous les moyens de les exorciser pour mieux s'en déposséder. Il n'est pas anodin que le roman fut publié trois ans avant son internement dans un hôpital psychiatrique à Paris. La folie le gagnait petit à petit, et ironie du sort, cela donne encore plus de pathos et d'émotion à l'histoire. C'est pourquoi il faut pouvoir prendre du recul avec sa narration car les litanies d'Olivier et Mme de Guilleroy bouleversent littéralement. Rien que la scène finale donne le frisson dans ce grand désespoir, dans ce néant qui gagne les coeurs rongés jusqu'à un noir ténébreux, où l'on se morfond devant la cruauté des destins et cette folie qui nous éventre l'esprit face à l'adversité. Mme de Guilleroy se consume symboliquement devant cette cheminée qui embrase les lettres de son amant qu'elle a jeté à sa demande, laissant ainsi paraître des gouttes de sang qui "semblaient sortir du coeur même des lettres comme d'une blessure". Maupassant a le chic pour malmener ses personnages. A croire qu'il n'y a qu'en plongeant tout droit dans le fatalisme qu'on en tire des leçons sur nous-même. Olivier qui a toujours aimé Mme de Guilleroy, cocufiant sans doute son mari, voit en la fille de la comtesse celle qu'elle fut dans sa jeunesse. Ce trouble de voir côte à côte sa maîtresse de longue date en pleine automne de l'âge avec sa fille Annette dans le printemps de la vie sème la discorde dans son coeur. D'un côté, il voit cette femme mûre, qui vieillit comme tout le monde, et de l'autre, il la voit telle qu'il l'a connu à ses débuts. Ce dédoublement de chair lui fait naître à son insu des sentiments qu'il ne voyait pas arriver et dont il fera hélas les frais dans la seconde partie du roman. D'ailleurs, on peut voir dans la ressemblance des prénoms de la mère et de sa fille, Anne et Annette, la réincarnation de l'une (obsédée à l'idée de vieillir et de ne plus plaire dans une société mondaine où les apparences sont maîtres avant tout) dans le corps de l'autre, comme pour prolonger sous une nouvelle identité son amour envers Olivier.
Fort comme la mort privilégie donc avant tout la description des sentiments au détriment des dialogues et des éléments perturbateurs qui font l'apanage des romans d'action. Le rythme est lent, douloureux et très pesant mais c'est ce côté mélodramatique qui fait son charme. Cette peinture (au sens propre comme au figuré !) de cet amour qui ne peut être réciproque en découle une détresse morale qui aboutira à l'anéantissement du héros. Réussir à survivre en ne répondant pas à l'appel de son coeur peut sembler impossible à faire. Toutefois, la seule note positive du roman peut résider dans son titre. En effet, si Maupassant avait vraiment voulu être pessimiste en écrasant l'homme du poids de toute sa mort, il aurait mis une majuscule au nom commun. Or, c'est ici le mot "Fort" qui trône devant son adversaire. A condition de ne pas être servile de ses passions mais d'être maître dans ses choix.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Bravo pour votre critique? Il est rare que l'on commente le roman Fort comme la mort de Maupassant autrement que par des sarcasmes (livre raté, etc.).
Si vous aimez Maupassant, allez visiter un site qui lui est entièrement consacré : Maupassantiana : http://www.maupassantiana.fr
Bonne continuation

RH

Tom-tom a dit…

Maupassant est l'écrivain que j'admire le plus. Son livre n'a à mes yeux rien de raté car il regroupe quelques thèmes existentiels avec une grande pudeur.
J'irai faire un tour sans faute sur votre site.
Merci beaucoup.

Thomas

Unknown a dit…

Cher Thomas,
très belle critique comme d'habitude.
Comme toi, j'ai été sensible à la description des sentiments, au rythme lent et surtout au style de Maupassant, ses plongées dans l'univers mental de ses personnages mêlées à des réflexion plus générales sur l'essence de la vie, des femmes, de l'amour, produits de sa propre expérience sans doute.
Maupassant, dans certains passages, annonce Proust, lorsqu'il associe des sensations et des souvenirs, ou lorsqu'il nous livre, à travers son personnage, ses réflexions sur l'art - littérature, musique ou peinture.
La représentation à l'opéra de Faust, la mise en scène de la nouvelle jeunesse d'un homme sur le déclin qui séduit une très jeune fille, assimilée à Annette, révèle ainsi à Olivier Bertin la stérilité de son amour pour Annette.

Merci de m'avoir fait découvrir ce roman, exempt d'ironie, contrairement à d'autres oeuvres de Maupassant, mais non de réelle émotion, sans jamais tomber dans la sensiblerie.

Unknown a dit…

tu peux m'aider