vendredi 14 août 2009

Les Hauts de Hurle-Vent de Emily Brontë - critique -

Milieu du XVIIIe siècle. Mr. Earnshaw ramène de la ville un jeune bohémien sous son manteau, miséreux et abandonné. Dès lors, la malheur s'abat sur la propriété de Hurle-Vent. Hindley, le fils, le haït comme personne et Catherine, la fille, entretient avec Heathcliff une relation amoureuse. Les générations passent et Heathcliff n'oublie pas la vengeance qu'il prépare, quitte à tout détruire sur son passage : l'espoir et l'humanité.
Critiquer et analyser une oeuvre phare de la littérature anglo-saxonne qu'est Wuthering Heights peut sembler ridicule en quelques lignes, tellement l'histoire et ses personnages méritent une attention toute particulière, qu'il conviendrait d'en faire un bouquin...
On sent dès les premières lignes qu'on a devant soi de la haute littérature et que les Hauts de Hurle-Vent est un véritable classique. La plume d'Emily est fine, gracieuse, élégante, précieuse et sa façon de raconter les tourments de cette famille est unique en son genre. Elle rapporte les faits à travers Hélène Dean, la domestique qui a tout vu, qui les rapporte elle-même à Mr. Lockwood, le nouveau locataire de la Grange, annexe de Hurle-Vent. Le récit est majoritairement pessimiste et donne envie de se révolter tout en nous indignant : certains personnages sont infectes, dépourvus d'humanité, d'une noirceur d'âme qui les enténèbrent complètement. C'est la raison pour laquelle Brontë ne décrit que très rarement les lieux et encore moins les tenues vestimentaires de ses personnages. Elle veut laisser supposer qu'on est capable de le faire à travers son écriture et son aptitude extraordinaire à narrer ce maelström de relations humaines entre gens qui s'aiment et qui ne s'aiment pas. Heathcliff est l'anti-héros, victime dans un premier temps puis bourreau dans l'autre. Il n'a aucune compassion envers les faibles, haït l'Homme et symbolise donc ce loup qui a toujours faim d'égorger et de détruire à Hurle-Vent. Il est noir de salissure, physiquement et moralement ; rôde comme un prédateur sur les terres de Hurle-vent et de la Grange, et parvient pratiquement toujours à ses fins. Si la trame peut sembler classique avec un air de déjà-vu, il ne faut pas oublier que le roman date de la moitié du XIXe siècle et qu'en tant que tel, Brontë déploie une imagination incroyable dans le récit pour ce qui est de dépeindre les natures humaines, et les noirs desseins qui nous habitent tous et qui habitaient sûrement son entourage à l'époque. Alors, Emily Brontë : précurseur du roman noir ou du drame psychologique ?
Tous les agneaux qui gravitent autour de Heathcliff sont les autres. Ces autres qui l'ont poussé à devenir ce qu'il est, ce qui n'est pas pour autant légitime de le victimiser. Catherine Earnshaw, qui l'aime passionnément, ne peut se rabaisser à l'épouser vu sa condition sociale et préfère donc vivre sa vie auprès de la famille aristocratique Linton. Encore un coup de poignard dans le coeur de Heathcliff. Sa vengeance n'a aucune limite temporelle. Elle est si démesurément grande, si intense de pouvoir qu'il n'en étanchera sa soif que lorsqu'il sera parvenu à ses fins, maudissant toutes les générations futures et troquant ainsi son âme au diable. Ce qui choque, ce n'est pas tant les actes condamnables de Heathcliff, mais la volonté de l'écrivain d'avoir eu sur près de 400 pages à instaurer une ambiance qui pèse et qui gène. Notre empathie est mise à rude épreuve quand il s'agit de ressentir le malheur de Catherine Earnshaw face au dilemme qui lui a rongé toute son existence ; le malheur de Hindley d'avoir perdu sa femme en accouchant ; le malheur d'Edgar d'être un témoin impuissant quand il réalise que sa fille souhaite renouer le lien familial en donnant de sa compagnie à son cousin Linton, soit le fils de Heathcliff ; le malheur de Linton Heathcliff qui est malade et qui souffre de voir se décomposer sa moralité... Une multitude de malheurs qui rend une lecture difficile, qui n'abrège aucun détour, et qui a ce besoin indispensable d'être suivi avec concentration pour ne pas perdre le fil.
En cela, Les Hauts de Hurle-Vent n'est clairement pas un conte de fées. La noirceur des lieux, du ciel, des personnages font malgré tout du roman un hymne à l'optimisme. Car tout ce qui est raconté fait prendre conscience au lecteur du don qui nous habite tous : celui de croire qu'il existe dans l'homme ce qu'il a de plus bon et de généreux en lui. Mais qu'ici, l'homme peut se révéler naturellement mauvais, naturellement envieux, jaloux et naturellement destructeur. Ce qui est un contrepoint aux idées de Rousseau quand on voit que le cadre se passe dans les landes du Yorkshire, en pleine campagne, et non dans le tumulte incessant de la ville!
A mon sens, le livre est inadaptable au cinéma sur bien des points. Tout d'abord parce qu'il arbore vigoureusement les sentiers de l'âme humaine, de ses possibles perditions et qu'on ne peut pas mettre sur pellicule des sentiments que l'on ne peut ressentir que par écrit. Ensuite, parce que chacun se construit son propre Hurle-Vent, cette demeure lugubre et maudite, sans verdure et dénuée de toute vie (il est d'ailleurs intéressant de constater la situation géographique de celle-ci, qui trône sur les collines comme l'olympe des Dieux, pointant et jugeant du doigt les actes de l'homme. Ou dans le cas contraire, comme la maison du diable incarnée par Heathcliff, gardée par le chien cerbère à trois têtes Linton-Joseph-Hareton et le styx qui sépare Hurle-Vent de la Grange). Et puis, tout simplement parce que Monsieur Lockwood, c'est nous. Nous sommes le spectateur dès lors que le rideau rouge se lève, nous sommes l'hôte de Mrs. Dean. Le roman est donc très intime car nous sommes les témoins privilégiés d'une histoire de famille qui a tourné au désastre.
Pour conclure, les Hauts de Hurle-Vent est un roman extrême dans la violence des sentiments, la difficulté de s'épanouir et de croire au bonheur. Emily Brontë a signé là son seul roman hélas mais qui ne fait ainsi que renforcer sa légendaire écriture et son aptitude peu commune à avoir créer une pléthore de personnages cultes. Certes, on suffoque pendant tout le long de notre lecture ; mais notre esprit n'en ressort que plus aéré aux toutes dernière lignes, comme si nous sentions enfin le vent de Hurle-Vent caresser et balayer notre âme et conscience.

3 commentaires:

Vincent a dit…

J'aime bien l'oeuvre préraphaélite (Un mouvement pictural du millieu du XIXe, typique de l'ère victorienne, censé être moralisateur pour les spectateurs.
D'un point de vue plastique il s'agit comme son nom l'indique de revenir à l'idéal précédent ou contemporain à Raphaël)qu'ils ont mis en couverture.

Vincent a dit…

Et une très belle critique au fait ! Mais comme ca va presque de soit maintenant...

Tom-tom a dit…

Merci fidèle lecteur Vincent :-)
Oui Le Livre de Poche ont parfois de très belles couvertures :-)