jeudi 23 juillet 2009

L'innocence de Tracy Chevalier - critique -

Londres, 1792. Thomas Kellaway, ébéniste de son état, prend à la lettre l'invitation de Philip Astley, directeur du cirque du même nom, et part tenter sa chance à Londres. Mais passer de Piddletown à Lambeth n'est pas sans conséquence pour ses enfants. Ils ouvrent de grands yeux sur la ville tumultueuse et impitoyable que le jeune londonienne délurée Maggie entreprend de leur faire connaître. William Blake, leur voisin, graveur et poète, sera leur guide spirituel tandis qu'ils franchissent le chaotique et exaltant passage de l'"innocence" à l"expérience".
Avec le même talent pour conter ses aventures que dans La jeune fille à la perle, Tracy Chevalier brode là une bien belle histoire sur cette quête initiatique d'enfants qui se cherchent et qui connaissent les affres de la vie citadine. En prenant toujours le soin de décrire d'une manière très attentionnée l'atmosphère des lieux, qui fait dans ses romans son charme principal, Chevalier nous amène à réfléchir sur les qualités et les défauts que la ville peut offrir à des gens issus de la campagne. Utilisant en arrière-plan les évènements qui résident en France, ses échos sur la révolution qui font trembler toute l'Angleterre et l'arrestation du roy Louis XVI, elle implante une ambiance quelque peu sale de ce Londres du XVIIIe siècle. Même si elle n'épargne pas la caricature facile (à savoir qu'en ville, il y a forcément des meurtres et des viols), les personnages qui composent Innocence semblent prendre vie au fil de notre lecture. Car comme toujours, leur présentation est au départ froide voire rigide mais petit à petit on se prend d'amitié pour eux et on veut toujours en apprendre plus. Par exemple, la relation qui unit Maggie, la citadine, à Jem, le campagnard, est magnifique : Chevalier se sert d'eux comme couverture pour mieux symboliser deux mondes totalement différents : à travers les yeux d'une fille qui a grandit bien trop vite et d'un garçon certes débonnaire mais quelque peu naïf. Leur parrain spirituel, c'est William Blake, le grand peintre. Il sillonne le roman comme un fantôme et on ne sait rien de lui sinon son aptitude à composer des belles phrases dont le sens échappe à ses lecteurs. Il apparaît donc comme un ange gardien en avance sur son temps dont la mission consisterait à veiller sur l'innocence de ces enfants tout en leur inculquant l'expérience nécessaire pour endurcir leur caractère. Chevalier joue beaucoup ici sur les contraires amenant à nous poser des interrogations sur nos conditions : celui qui oppose tout d'abord le directeur de cirque Philip Astley, personnage loufoque, avec Monsieur Blake repose sur l'indissociabilité entre l'illusion et le réel : "Somme toute, Monsieur Blake, vous prenez des idées dans votre tête et vous en faîtes quelque chose que vous pouvez voir et tenir dans votre main tandis que moi je prends des choses bien réelles (...) et je les transforme en souvenirs" (page 127). Nous avons donc d'un côté un monsieur qui préfère cacher la vulgarité de son monde en créant des spectacles (un parfait leurre pour s'échapper des tensions du quotidien) et de l'autre, un monsieur qui a compris sa propre réalité. Pareil pour le couple d'enfants Maggie et Jem, représenté par Les chants d'expérience pour l'une, et les chants d'innocence pour l'autre. Même si Chevalier reste plutôt ambiguë sur cette définition qu'est l'innocence (devons nous forcément être issu de la campagne pour l'être ?), Blake arrive en juge impartial en posant face à ce couple d'enfants une question qui planera comme une ombre sur tout le roman : "Supposons que l'innocence soit sur cette rive-ci, et l'expérience sur cette rive-là, qu'y a t-il au milieu du fleuve ?" (p107). Le défaut de Chevalier qui serait de donner une réponse à toute question vient taire un peu la crédibilité de ce côté philosophique, préférant davantage engager le pas sur le fictif plutôt que sur la fable moraliste.
Au final, dans ce Londres impitoyable peuplé de créatures en tout genre, Innocence s'impose comme un beau roman qui décrit si bien ses scènes qu'on le lirait d'une seule traite. Sadique parfois envers ces personnages (l'on retiendra la pauvre Maggie et sa famille violente ; ainsi que les bouleversements qui interviennent dans la vie de Maisie), Chevalier réussit à retranscrire la même poésie que La jeune fille à la perle. Bien que le titre de l'oeuvre soit à mon sens inconvenu et malgré que, sous cette multitude de détails, on se verrait plus en plein XIXe (ce qui pose donc problème), ce livre n'en reste pas moins passionnant et presque trop court. De quoi nous donner l'envie de lire la bibliographie complète de l'auteur pour celui aurait encore faim.

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