samedi 25 juillet 2009

Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll - critique -

Alors qu'Alice, une petite fille aristocrate, se faisait faire la lecture par sa grande soeur, elle voit un Lapin Blanc courir très hâtivement. En le suivant, elle finit par déboucher sur un terrier. Elle trébuche, tombe à l'intérieur et la voilà découvrant un nouveau monde, le pays des merveilles, peuplé de personnages tous plus fous les uns que les autres...
De ce que nous pourrions citer Maupassant comme un auteur qui marqua la littérature française du XIXe siècle, nous pourrions citer Lewis Carroll comme un auteur qui marqua l'Angleterre en 1865. Et de ce qui pourrait se comparer à une oeuvre enfantine n'en ai au final pas une du tout. A travers des satires, des distorsions de logiques incessantes et des interrogations métaphysiques, Alice au pays des merveilles est une oeuvre philosophique difficile d'accès et emprunte de folie. Tellement de choses à dire sur cet univers foisonnant que je n'en délivrerai quelques axes principaux.
Très courte, l'oeuvre dégage néanmoins à chaque page un parfum très étrange car elle ne répond à aucune rationalité. Alice satisfait sa curiosité, un vrai défaut ici, en suivant le Lapin Blanc qui semble débouler devant ses yeux comme un attrait de la normalité. D'ailleurs, ce n'est pas le gilet élégant que porte le Lapin qui choque Alice mais le fait qu'il sorte une montre de sa poche pour en vérifier l'heure. Nous percevons donc d'ores et déjà qu'Alice s'apparente à une petite fille qui prendrait ses rêves pour des réalités mais à aucun moment nous ne connaîtrons son âge. D'autant plus qu'à mesure qu'elle s'aventurera dans le pays des merveilles, nous aurons l'impression que ce voyage en quête de son identité la fera grandir en maturité. Car trouble identitaire, l'oeuvre en regorge. C'est Alice, bien sûr, qui se pose des questions sur elle-même. Ses nombreuses interrogations et monologues intérieurs la décrivent comme un personnage aux multiples personnalités qui a tendance à oublier son vrai "soi" au détriment de plusieurs "autres" (le passage où elle boit le flacon pour entrer dans la porte). C'est pourquoi elle ne cesse de grandir et de rapetisser ; et le fait que le Lapin Blanc la prenne pour Marianne lui fera le temps d'un instant comprendre qui elle est véritablement. Alice, c'est aussi une petite fille qui est obsédée par l'image qu'elle reflète aux autres et ne manque jamais une occasion de montrer ses bonnes manières, face au Dodo et au Griffon notamment, mais aussi face au Chapelier toqué dont elle ne cesse de souligner sa grossièreté. C'est comme si entrant dans ce pays des merveilles, elle était devenue une coquille vide où chaque personnage serait là pour un rôle bien précis lui enseignant des morales. C'est un fait : Alice est bel et bien à l'école. Elle est là pour apprendre et tirer des leçons des situations.
Viennent ensuite les personnages du pays des merveilles. D'ailleurs quoi de plus étrange que ce pays des merveilles qui ne regorgent aucune merveille... C'est même tout le contraire : des êtres frappadingues, qui torturent leur esprit à se poser des questions sur tout et rien à la fois, et qui sont tous hétéroclites. Comme si cette arche de Noé des merveilles était un pays de références, Lewis Carroll attribue une majuscule pour chaque animal qui le constitue. Mais Alice n'est pas la seule humaine dans l'histoire. Il y a entre autre la Reine, mais au lieu d'y voir quelqu'un de familier, Alice s'aperçoit que celle-ci règne de main de maître sur le pays par le biais d'une violence exagérée (qui couperait la tête à chaque personnage qui oserait défier son autorité) et qui, comme les autres, fait preuve d'une grande absurdité. Car Alice au pays des merveilles, c'est cela : une plongée effarante dans l'absurde où il n'est pas nécessaire de trouver une réponse pour chaque question, et où les historiettes s'enchaînent sans fil conducteur.
Dans le pays des merveilles, le temps est complètement déréglé. Ce n'est pas un hasard si le Lapin Blanc tente de rattraper un temps qui lui échappe, prétextant qu'il est toujours en retard mais ne sachant pas de quoi. Il n'existe aucune époque caractéristique et ce thème du Temps, propre à beaucoup de poètes (comme Baudelaire), est rattaché aux personnages du Chapelier toqué, du Lièvre de Mars et du Loir. Lors du "Thé extravagant", Alice est amenée à être interrogée sur le temps qui passe : en effet, pourquoi ce trio passe t-il le plus clair de son temps à boire du thé et à changer de place continuellement telles les aiguilles d'une horloge ? Le Chapelier toqué ne connaît d'ailleurs aucune réponse et tente d'y trouver un signe et un sens en malmenant des jeux verbaux. Alice de savoir "Pourquoi ?", les personnages de lui répondre "Pourquoi pas ?". Et quand Alice est enfin invitée à raconter une histoire (que ce soit de la part du Chapelier ou de la Tortue), une tradition qui semble être la roue motrice de ce pays, on lui coupe la parole soi-disant parce que cette histoire n'a rien d'intéressant à leurs yeux. Alice ne semble donc pas folle, et au lieu de partir l'air rassuré, elle est vexée de tant d'impolitesses.
Alice est sans cesse victime d'une ironie du sort. Elle qui souhaiterait savoir qui elle est vraiment parvient sans le vouloir à faire comprendre aux autres qui ils sont vraiment. Citons l'exemple de la Duchesse qui demande à Alice de garder son bébé, celui-ci se transforme en cochon après lui avoir sauvé des rafales de casseroles. Ou encore de la chenille, toute pédante sur son champignon, qui prend conscience qu'elle deviendra un papillon... Au final, le seul personnage qui souhaite aider Alice est le chat de Cheshire. Bizarre voire cauchemardesque, ce personnage, bien que fou et contradictoire, est très instable et apparaît devant Alice comme des élans de conscience. C'est le seul personnage à peu près régulier qui viendra voir Alice pour faire le point sur sa quête. Les dessins de Sir John Tenniel ne manqueront d'ailleurs pas de souligner l'aspect très inquiétant des personnages.
Paradoxal, Alice au pays des merveilles n'est clairement pas un livre destiné pour les enfants. Non pas parce qu'ils auraient peurs mais parce qu'ils ne comprendraient tout simplement rien. Moi-même ai pu apercevoir des innombrables détails dont le sens m'a échappé car Alice a besoin d'être étudié profondément et d'être abordé très sérieusement. Passionnant mais ne répondant à aucune caractéristique de son titre, Lewis Carroll mérite la réputation qu'il s'est construit en créant cet univers unique en son genre. Incroyablement riche dans les symboles et presque "visuellement", pas si absurde que ça dans les questions qu'ils sous-tirent à ses personnages, mettant en scène des décors inquiétants et des folles situations, Alice au pays des merveilles est une oeuvre à part, qui a rencontré un tel succès à l'époque qu'il écrira De l'autre côté du miroir, la suite des aventures d'Alice.

2 commentaires:

Vincent a dit…

Une critique rondement menée ! De nombreuses pistes intéressantes pour une oeuvre qui en regorge. La quête de soi, le thème du temps, la raison face à l'absurde...Ce qui me frappe à chaque fois ce sont toutes ces questions techniques que se pose Alice face à des situations absurdes. Elle ne se demande pas par exemple pourquoi elle s'est allongée comme une longue vue mais plutôt comment faire pour se concilier l'amitié de ses pieds qui risquent de n'en faire qu'à leur tête..

Si Alice critiquit la rationnalité ennuyeuse du monde des adultes, au pays des merveilles c'est justement elle qui se dresse en figure de proue des bienséances, de la justesse, de la rationnalité. Alice joue un peu ici le rôle d'un adulte auprès d'adultes fous, sans éducation, turbulents...Et c'est vrai que seul le chat partage le désarroi d'Alice en même temps qu'il y contribue. C'est un monde à l'envers (le tunnel qui l'amène selon elle à l'autre bout de la terre où les hommes marchent la tête en bas) où toutes les expressions de la sociabilité sont tournées en dérision (le caucus, le thé, la partie de croquet).

Mais je pense que le livre doit encore mieux se "comprendre" (quoique...)si l'on est familier avec l'éducation du milieu du XIXe siècle (l'histoire de Guillaume le Conquérant, les usages par rapport à des personnes plus âgées, la récitation d'une histoire...)et notamment toutes les poésies, chansons et histoires qui appartiennent à l'outillage mental d'une petite anglaise de 1865. Toutes ces poésies enfantines que l'auteur transforme pour les rendre absurdes tout au long du roman devraient davantage résonner à nos oreilles peut-être...

Il n'empêche que le livre peut toujours aussi bien s'interpréter de nos jours (et je pense que ce qui fait son interêt c'est justement la lecture plurielle que chacun peut en faire)et nous en avons ici une belle démonstration ;) !
Merci Tom-tom !

Tom-tom a dit…

Wouah, ça c'est du commentaire :)
Ravi que ma critique te plaise.

Oui, Alice est pas mal dérangée à la base je trouve. Elle s'intègre très bien quoiqu'elle en pense dans le pays des merveilles. D'ailleurs si elle rêve, ce monde serait entièrement crée à partir de son subconscient et donc de sa propre imagination. Ce qui reviendrait à dire que le pays des merveilles, c'est elle.
Dans ce cas, si nous restons dans cette thématique, il est normal que son comportement soit absurde face à ces situations absurdes. Qui a dit qu'un rêve était logique après tout ?

Il est clair qu'il faudrait étudier tout ce contexte social du XIXe, ce qui a fait que Carroll a décidé de faire telle ou telle parodie à travers ses poèmes et chansons. Car pour ma part, je ne comprends rien du tout à leurs sens. Et la préface qu'ils ont intégré dans la collection de mon livre n'aide malheureusement pas beaucoup sur ce point.

Et puis, j'ai toujours l'impression très étrange que chaque rencontre qu'Alice fait se déclenche au moment où elle entre en scène ; et s'arrête au moment où elle repart. Que c'est elle qui donne vie à cet univers. J'ai cette image grotesque du jeu lorsqu'on était gamins "1,2,3...Soleil" où les joueurs s'arrêtent si tôt que celui qui compte au mur se retourne.
C'est vraiment bizarre... Mais tellement bon ! :))